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Articles

Mmmmmh, par Ninon Goder

Il vole parce qu'il n'a pas de jambe. Il avance. Il avance seul. Il n'a pas de jambe. Ni jambe, ni bras. Il n'a pas de corps. C'est l'index. L'index gauche de pépé. Pépé l'avait perdu. Scric scric SRAC. Pépé l'a perdu il y a un gouffre, une vraie faille de temps. Et moi, je l'ai trouvé. Enfin, c'est lui qui m'a montré entre les failles. Il est là. Devant moi. Il est là et il vole. Il vole seul juste devant. Il vole droit, tout debout de lui. Il me regarde. Oui, il pointe. Il me pointe et m'enface. Il pourrait me curer le nez mais il ne fait rien. Du temps, du temps et l'index part.  Du temps. Du temps et il y a ça. Ça, ça vole aussi. Mais, pas seul. Cette fois, ça vole en groupe. C'est une poignée de cheveux. Des mèches toutes emmêlées. On dirait que les reflets bourdonnent pour suivre l'index. Je les connais. Je le reconnais ce bourdon échevelé, il est brun. Brun et raide. Ça bourdonne laid aussi. C'est le cancer qu...

Plouf, par Nolwenn Le Gal

Un amuseur de galerie et deux amusées sur un gros caillou. Le gros caillou est une falaise qui tombe dans l’eau. L’eau est l’océan salé, qui bouge sans s’arrêter et éclabousse les rebords. Les rebords de ceux qui sont là. L’amuseur de galerie et les deux amusées sont un garçon et deux filles, sûrement le garçon et la fille de deux parents, ou plutôt de six, sauf si l’un d’entre eux s’en est allé. L’amuseur amuse. Il s’amuse d’amuser. Les amusées sont amusées, on le voit à leur sourire qui plisse leurs yeux. Ce n’est pas le soleil qui plisse leurs yeux, le soleil n’est pas là. C’est amusant. Et ça les éclaire. ça s’éclaire. ça est le garçon qui fait des blagues, les deux filles qui rient. Et les autres aussi. On ne connaît pas les blagues. La falaise ne rit pas, on ne l’entend pas rire. Le vent hurle, lui. Il ébouriffe les cheveux de ceux qui sont là. Ceux sont le garçon, les deux filles, la falaise, l’océan. Le vent aussi, mais il ne s'ébouriffe pas lui-même. Le soleil n’est pas là...

L'hermite, par Marie Chapuis

Aujourd’hui, 21 novembre 2025, sous les tropiques. C’est en déambulant sur la plage que j’ai trouvé une grosse coquille vide. Bien trop grosse pour moi. Je m’installe à 30 cm d’elle et j’attends. Je sais que d’autres vont arriver. 22 novembre au matin, le temps est clair mais frais. Un petit gris s’installe juste derrière moi, c’est donc lui qui aura mon carrosse. C’est ainsi qu’on m’appelle, « Carrosse », car mon toit rose en a la forme et l’élégance. Pourtant, il me faudra bien le céder. On se regarde un peu, sans plus. 23 novembre, personne ne vient. Je suis à l’étroit, le soleil brille et j’ai trop chaud dans ma chambre rose. 24 novembre, à la tombée du jour, débarque celui qu’on appelle Strip-tease, débordant de sa carapace, ses chairs molles et blanches à moitié dehors. Il chaloupe un peu avant de se poser juste au milieu, à 15 cm entre la grosse coquille vide et moi. Le 25, rien ne se passe. 26, le temps est à la pluie quand débarque un magnifique spécimen dans une somptu...

Les ratatinées, par Michèle Atlan

Long plan-séquence sur deux silhouettes, l’une grande, l’une petite, une adulte, une enfant ; la mère et la fille. Elles traversent une grande place bordée d’arbres, quelques rares voitures y stationnent, des bancs au milieu s’espacent de quelques mètres les uns des autres. Des vélos qui zigzaguent entre les arbres, chevauchés par des gamins dont on perçoit les exclamations, les rires, la vie qu’ils insufflent au lieu. La petite fille suit sa mère, tantôt gambadant, tantôt poursuivant les vélos à grandes enjambées. Elle s’essouffle, se plie en deux un instant, presse une de ses mains sur ses côtes. La mère se retourne pour l’appeler, mais, interpellée par l’allure ralentie de sa fille et son corps légèrement voûté sur lui-même, elle fait demi-tour pour la rejoindre. — Betty, ça va ? Les joues rosies par la course ne parviennent pas à masquer les taches de rousseur qui constellent le visage de la fillette. La mère s’agenouille auprès d’elle. De longs cheveux châtains encadrent un ...

La Coiffeuse de la Belle au bois dormant, par Anny Galopin

Elle est là, assise sur le tronc d’un chêne centenaire, coupé et sacrifié lors d’une fête au château, le jour de la naissance de la fille tant attendue par le Roi et la Reine, il y a de cela bien longtemps... Que c’est long, et Dieu qu’elle s’ennuie ! Toute ridée par le temps, on la prendrait presque pour une sorcière. Comment a-t-elle pu résister jusque-là ? La Bonne Fée Marraine n’ayant pu arriver à temps pour la naissance de l’enfant, un malheur s’ensuivit, et celle-ci, comme nous le savons tous, se piqua avec le fuseau d’une Fée de l’Ombre, ce qui la plongea dans un sommeil sans fin. Tout fut essayé pour la réveiller, mais rien n’y fit, hélas... Elle avait juste dix-sept ans ! On décida donc de l’exposer dans un cercueil de bois fin et odorant, qui ne laissait la voir qu’à des regards de sujets particuliers et hautement triés sur le volet. C’était un privilège, comme il en existait dans toutes les cours d’une époque révolue. Ce cercueil fut placé alors dans un espace où les arb...

Plic ploc, par Isabelle Sers

Plic ploc, plic ploc... Goutte, gouttelette. Du plus bas… flaque où de petits pieds sautillent et s’éclaboussent en étincelles frémissantes… Douce rosée où aussi naissent de charmants têtards, éberlués par leur propre apparition. Du plus haut splashhhhh … Un plongeon vers d’inconnus fonds abyssaux, plus simplement nommés : « lavabo de marbre », là où la vie a vu le jour quand ce poupon, dès le surgissement de son premier cri, s’est retrouvé aspergé d’abord, puis enfin enfoui, le temps d’un baptême. L’eau… L’eau, qui habite nos corps : 60 %… tout de même…, et la terre : 70 %… oui oui… Vaisseaux, canaux, muscles, fleuves, cerveaux, océans, lames de fond, larmes de crocodile, crachats, baisers, potions… Que d’eau… Que de possibles traversées. Allons… voguons à travers les flots de nos intranquillités fluviales, et célébrons le goutte-à-goutte soporifique d’un robinet qui s’ignore, tout comme la fureur maritime d’une baleine qui s’insurge. Célébrons-la jusqu’à la lie, c...

Vert œil ?, par Vincent Figuéréo

Alda de Mesquita choisit de mourir le 4 février 1480. Alda de Mesquita choisit de donner vie à Fernand de Magellan, par voie basse, ce matin-là.  Alda de Mesquita choisit, en accord avec ses croyances et avec la volonté d’Undibel, de vivre éternellement en plantant une aiguille dans sa jugulaire. Undibel signifie « dieu » en calo, argot espagnol intégrant de l’argot gitan. Undibel a écrit dans son livre intitulé Le Livre d’Undibel qu’il promet la vie éternelle à qui laissera couler 21 grammes de son sang provenant de la veine jugulaire antérieure gauche. Ces 21 grammes doivent être déposés dans le récipient le plus proche de nous, d’une coupelle à un Tupperware. Ces 21 grammes doivent être mélangés à une goutte d’huile d’olive vierge et à un peu d’eau de mer, celle du large, pas trop salée. Le mélange doit être jeté en l’air, puis récupéré à la volée dans un geste acrobatique très délicat. Ce geste très délicat, vous vous en doutez, réduit les chances de l’opération à peau...

Histoire de femmes, par Corinne Gotnich

J'ai reçu un écrit provenant d'une jeune femme. J'hésite face à sa démarche, elle dresse le portrait d'un homme plus âgé qu'elle. Que lui reproche-t-elle à cet homme ? D'avoir la trentaine ? La quarantaine ? De lui avoir mal parlé ? Cela reste discutable. Les mots il les a employés dans un contexte précis. Il y a le dire et le dit, le signifié et le signifiant. Elle est au milieu de tout cela et elle patauge. Elle parle de cet homme sans en parler. Elle se perd, elle est aspirée par son langage à elle, elle bute sur les mots. Que lui reproche-t-elle ? De vouloir paraître trop respectable, de jouer la carte de l'humanité. Elle dit qu'il surjoue. Elle pense qu'il porte un masque. Cette jeune femme, elle en fait trop. On ne peut tout de même pas demander à cet homme de clarifier ses intentions, en deux mots ou en deux phrases ce serait impossible. Elle aurait pu quitter le bureau où elle était enfermée en face de lui ! Il ne l'avait ...

Sylvain, par Corinne Gotnich

Hier j'ai trouvé un sac à dos noir chez Zara précisément. Zara Boutique de fringues anonymes. Des fringues suspendues dans des linéaires. Pourquoi cette jeune femme a-t-elle abandonné ce sac dans une cabine d'essayage ? Aurait-elle déposé un épisode de son passé ? Passé douloureux ? Passé amoureux ? Un épisode nommé Sylvain. Pourtant quand je l'ai contacté il m'a dit qu'il n'avait jamais entendu parler d'elle. Comment est possible de dire : De qui me parlez-vous ? Je ne vois pas qui elle est. Mon numéro de portable je lui ai peut-être donné il y a longtemps. Je suis passé à autre chose. Si vous le voulez bien on va en rester là ! Comment est-ce possible d'avoir une mémoire et aucun souvenir ? Alors j'ai repris la parole : «  Elle portait un chouchou blanc comme la neige dans ses cheveux. Autour de son cou était enroulée une écharpe bleu turquoise. A l'oreille gauche elle portait un piercing, ce bijou était raffin...

Homme libre, par Corinne Gotnich

J'ai vécu en homme libre. J'ai tout fait comme il faut Je suis honnête il est vrai que mon moi déborde, un peu comme celui de Jean-Jacques Rousseau dans les Confessions. Cependant ma pensée n'est pas étriquée ! Ce sont les autres qui comptent car je suis généreux moi !  Je suis vertueux aussi. La preuve, je ne me suis jamais plaint de rien. Même quand je travaillais quinze heures par jour je trouvais le moyen de sourire aux autres. J'étais satisfait de moi-même.  Dans ma vie tout est lié même mon écriture, très droite, très lisible. J'ai un esprit rigoureux moi.  On a toujours plaisir à me rencontrer même quand je pense à mes affaires, Il fallait que je travaille pas seulement pour les autres. Je suis une figure presque christique.  Ma vie sociale a été exemplaire. Ma vie affective en revanche a été moins éclatante.  Mon épouse bien plus jeune que moi passait  beaucoup de temps en thalasso et au club de bridge. Quand je lui disais qu'elle s'écartait du droi...

Éternel retour, par Corinne Gotnich

Fondu au noir Petit matin s'extirper  Le réveil sonne il insiste son standard. Dormir sans rêve c'était bien  Oublier ce qui s'est passé. Ça s'est passé quand ? Est-ce que ça s'est passé d'ailleurs ailleurs ? Allumer la lumière Allumer la lumière électrique caresser le bouton noir de la lampe bleue posée sur la table à côté du lit. Enfouie dans l'oreiller violet Respirer le tissu. La main sort du lit Le pied sort du lit l'air libre l'agresse un peu Il le mord un peu quand même. Aller vers la baie vitrée relever le store sans bruit. Décoller la nuit collée à la fenêtre. Il y a le bruit léger comme un roulis au fond de la rue, le bruit décolle à peine le bruit qui vole Le bruit qui voile Le bruit un voile déchiré. Et le pied sur le tapis Et la main elle est posée où ?  Penser à la vague Pensée vague diluée dans la couleur blême La vague lèche le sable mouillé Lentement l'écume blanche comme une dentelle légère se pose et disparaît avalée. Jaillisse...

Face à un orage, est-ce le début ?, par Vincent Figuéréo

Il y a plus de différences dans la forme et la coupe de mes ongles que de bateaux qui sont amarrés au port ce matin. Des poils trop timides pour sortir sur le dessus. Une cicatrice d’alcool sur l’annulaire. De l’autre côté, des traces, des crevasses.  Hier, plus haut, un éclair.  Il est tombé dans la nuit. Toutes les couleurs en face se sont allumées. Un grondement a étouffé la ville. Ce soir orage. Ses pupilles énormes. Son duvet debout. Ses ongles rentrent dans ma chair. Elle retourne à moi on dirait. Plus animal qu’enfant.  Ai-je oublié d’avoir peur ? L’obscurité me fait peur parce que je ne sais pas. Jamais je n’ai su. Les traits de mon visage se ferment. Mes émotions, primaires. Mon manque de courage, ou mon impossibilité de devenir adulte ? Mes pupilles couleur de ma peur. Mes pupilles aveugles. Mes pupilles.  Mais.  Au fond de mon ventre le doute. En ouvrant ce doute, la peine. Accroché à la peine, la peur la retient ici.  P E U R Air absent, souffle...

Lacydon, par Vincent Figuéréo

C'est ici le royaume des fuyants, des passagers et des oubliés. Pourtant chacun y laisse sa trace. Des taches d'huile aux fientes et du moisi à l'amiante Par là, on ne s'y aventure pas sans raison Serait-ici, dans le chemin du Lacydon. Qu'on trouve et découvre un peu de ce qui nous hante ? Une fois dans l’allée  cependant, pas de bruit Au bout du fond ne vient ni le jour ni la nuit Et repose le Lacydon, service à bas prix. C'est ici le royaume des fuyants, des passagers.  Femme qui boîte toute estropiée Est bien la seule à me saluer. Devant une trace de pisse et une flaque de café Le noir, moins sombre en s'approchant Parait au final plus accueillant Que la rue pleine de lumière  Et de faux - semblants que je hais. C'est ici le royaume des fuyants. De ceux qui nagent dans l'ombre et qui en redemande De ceux que l'on regarde sans besoin qu'ils se vendent Des sales , des authentiques, des spécialistes en électrique. Des parfums oubliés, des tex...

Promenade, par Anny Galopin

Se prendre pour une fleur Attirer les papillons S’envoler avec eux Déployer ses ailes Se vêtir de leurs couleurs Emprunter leur légèreté Et se poser où bon nous semble Le temps d’une inspiration… Pas belle la vie ???   Si l’oiseau chante bien et avec goût, c’est qu’il chante avec action et avec âme, et qu’il s’anime à sa propre voix… Et ça nous fait quelque chose ! C’est comme si les oiseaux nous aidaient à nous émouvoir, à aimer ce qu’on a sous les yeux, comme s’ils intensifiaient et soutenaient notre lien à nos propres milieux…   Je fais une comparaison entre l’oiseau et l’enfant : « Les oiseaux débordent de vie, ne tiennent pas en place, se dépensent, vont et viennent sans nécessité, se plaisant à voler par jeu »… Aux oiseaux comme aux enfants, c’est le mouvement qui est un repos ! Et même la migration est comprise ici comme une guerre faite à l’ennui : « Ils semblent ignorer l’ennui , ils changent de lieu à tout instant, passant d’un pays à un autre, ignorant les distances...

Regard sur l'octogone, par Corinne Gotnich

Regard sur l’octogone Des fenêtres comme des trous, rassemblant toutes les ombres, comme des non-dits. Un point aveugle de la façade, ou des yeux fermés. Un visage à lire, un visage qui ne se laisse pas regarder. Autour du bâtiment, zéro vie. Des murs glacés, des aspérités rosées aimantant le regard. De loin, on s’éloigne des façades dorées à l’or fin, baignées par un soleil fou furieux. On s’éloigne jusqu’au moment où cinq silhouettes apparaissent sur un pont blanc, dans la lumière. Au-dessus, des nuages joufflus s’effilochent dans un courant d’air à peine refroidi. Nouveau regard sur l’octogone foncé Re g ard caméra — de droite à gauche, de gauche à droite. Balayage rapide de l’espace. L’obscurité se déplace d’un point A à un point B. Elle ressort des immeubles monolithiques du front de mer, dont la pierre blonde respire naturellement, absorbant les graines de lumière qu’elle rejette aussitôt. Deux bateaux blancs glissent sur la mer ondulée et lumineuse. Un point blanc sur un miroir ...

La Vierge, la Putain, la Sorcière, par Anna Schmit

 ... Ou une sainte trinité au féminin Mesdames, Messieurs Prêtez-moi attention, J’ai une histoire à vous raconter Celle du plus grand secret de l’humanité Je la tiens de Sainte Anne, mère de Marie Qui, fière de sa fille, me l’avoua Mais chut ! N’allez pas lui dire que je vous l’ai raconté Car la grand-mère de Dieu est soupe au lait Et pourrait bien se fâcher Voilà que Dieu dans sa grandeur a offert aux femmes un véritable pouvoir Le plus grand de tous les pouvoirs Convoité par les hommes de loi comme par les hommes de foi Il accorde au féminin la Sainte Trinité La fille, la mère, la sainte âme Ou la Vierge, la Putain, la Sorcière * Il était une fois, Une belle jeune fille Au visage rond Aux joues roses et charnues Aux yeux clairs comme l’océan Et au corset si serré, qu’elle ne pouvait respirer De son corps potelé se dégageait une odeur de crème fraîche et de petit lait. Nous l’appellerons Marie, ou Myriam, surnommée la Vierge Elle hoquetait ; les larmes qui coinçaient dans sa gorge...

The Massalia Conte System, par Vincent Lagarde

... extrait du recueil des contes de Monsieur V Le petit Luc n’était pas un enfant sage, tous les mercredis matin, il collait son front sur le chauffage pour échapper à l’école. De guerre lasse, la maman appelait son propre père pour le garder. Le papet venait toujours avec son grimoire rempli d’histoires, il s’asseyait au bord du lit et, à chaque fois, il ironisait. Le papet : « Eh bien, mon garçon, tu as l’air d’aller mieux, je crois bien que tu peux aller en classe. » Luc : « Non, non, tu te goures, papet, je suis souffrant et impotent, comme la mamie dans l’histoire avec le loup. Argh… » Il mimait alors son agonie. Le papet, point dupe, reprit : « Alors, comme par hasard, une bonne histoire te remettra sur pied ? » Luc : « Oui, si elle dure toute la journée. » Le papet : « En voilà un garçon gourmand, et la gourmandise est un vilain défaut. » Luc : « Oui je sais, tu l’as lue plein de fois, Hansel et Gretel. Je veux une autre histoire ! » Le papet, feuilletant son grimoire, s’arrêta...

La pente, par Martin Gracia

Ici, il n’y a pas d’errance, pas de révérence. En pente, il fait 40°tous les jours, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige. Regard droit, tourné vers l’horizon. Et hop, lever le pied. Pointe de pied tendu, haut hisse le mollet ! Tourner la cheville et PAF le talon ! Poser le pied, planter la pointe. Tu la doubles. Double là je te dis ! Tu dois passer devant, tu vas plus vite, tu n’as pas peur. Toi, tu ne t’arrêtes pas. Tenir la stature, planter les orteils dans les pâtures. Nord cap Nord ! Du tendon au mollet tendu, surtout ne pas tomber, jamais flancher… Regardez ! Là ! Il ne bouge pas. Sa jambe droite plus courte que sa jambe gauche. Déséquilibré ! J’attends tendu, pentu. Trouvant mon équilibre dans la pente obtuse. Remonter la pente, qu’ils disent, je dois remonter la pente. Me retenir pour ne pas tomber et cogner, voler… Rouler bouler … Le verdict est tombé, ils ont goudronner la pente. Déséquilibrés! J’entends encore le bruit de la déconstruction, un cliquetis de pierres net, se...

Porte d'Aix, par David Amblard

Fin de zone à trafic régulé, remarque-t-il sur l’un des panneaux de Porte d’Aix. Des immeubles cassés vomissent du rose. Il réajuste son bonnet, en été, en printemps, en hiver, il ne le quitte jamais. On le surnomme « L’homme rocher ». Des lunettes le scrutent, pas de menaces, juste des avertissements, dans une zone occupée. Ousmane connaît ses limites, son territoire, il a appris les règles sur le tard. Cela fait un certain temps qu’il est ici. C’est sa capacité d’adaptation qui a fait la différence, se dit-il, il a toujours su évoluer, s’adapter comme un don ancestral que ses ancêtres lui auraient transmis. Il y a soudain une coupure, une résonance sous ses pieds, l’écho répété de deux types en train de se massacrer. La violence ici intervient par bourrasque, explosion, jamais constante mais régulière, par touches. Un type à côté dit : « dès que j’ai mes papiers je me casse de Marseille », Ousmane sourit, il sait qu’il faut de l’argent pour partir. Il en a suffisamment maintenant, il...

Mon humain Pozzo, par Christine de la Souchère

Maître Pozzo, Je vous écris de ce lieu dérobé, où votre inconséquence m’a conduit. Inutile de vous rappeler la peine encourue à l’issue de votre procès. Le roi Narcisse IV ne plaisante pas avec les histoires de reflets. Vous, mon maître, devez payer l’amende et 1000 Florins et régler le problème des miroirs à double face, installés sans autorisation dans vos domaines, ceux-ci perturbant les déplacements des chars fleuris du Souverain. D’autre part, le Roi vous ayant surpris dans une situation délicate où votre manque d’empathie a provoqué un drame exemplaire, a rajouté 30 degrés à la sanction. C’est moi que vous avez désigné, de fait, comme le permet votre position sociale, pour subir la sentence à votre place. C’est ainsi que cela a toujours été, entre les classes de notre royaume. Lorsque le camion m’a emporté, j’ai vu la vallée une dernière fois, avec ses protubérances ondoyantes et ses alcôves légèrement blondies. Plus loin, à la frontière de notre monde, l’espace s’est fait plus p...