Aujourd’hui, 21 novembre 2025, sous les tropiques.
C’est en déambulant sur la plage que j’ai trouvé une grosse coquille vide. Bien trop grosse pour moi. Je m’installe à 30 cm d’elle et j’attends. Je sais que d’autres vont arriver.
22 novembre au matin, le temps est clair mais frais. Un petit gris s’installe juste derrière moi, c’est donc lui qui aura mon carrosse.
C’est ainsi qu’on m’appelle, « Carrosse », car mon toit rose en a la forme et l’élégance. Pourtant, il me faudra bien le céder. On se regarde un peu, sans plus.
23 novembre, personne ne vient. Je suis à l’étroit, le soleil brille et j’ai trop chaud dans ma chambre rose.
24 novembre, à la tombée du jour, débarque celui qu’on appelle Strip-tease, débordant de sa carapace, ses chairs molles et blanches à moitié dehors. Il chaloupe un peu avant de se poser juste au milieu, à 15 cm entre la grosse coquille vide et moi.
Le 25, rien ne se passe.
26, le temps est à la pluie quand débarque un magnifique spécimen dans une somptueuse coque bleue, je ne l’avais jamais vu. J’aimerais bien qu’il se rapproche… mais non, au moins 8 cm nous séparent.
27 novembre, trois d’un coup ! Ils cherchent à s’intercaler entre nous.
L’un d’eux occupe une petite voiture rouge métallique qu’un enfant aura oubliée sur la plage. Ses pattes latérales sortent par les portières manquantes et ses pinces avant traversent, triomphales, le pare-brise sans vitre. Il s’installe juste devant moi. Il est si proche que je me mets à espérer.
28 novembre, deux autres nous ont rejoints : un violacé et un gris presque noir que je ne connaissais pas. Ils prennent place dans la file. Moi, je n’ai d’yeux que pour la petite voiture rouge.
29 novembre, vient le Gros Goulot, on l’appelle comme ça à cause de son abri en forme de bouteille. Il a le culot de s’installer juste derrière la grosse coquille vide. Je me demande s’il n’a pas les yeux plus gros que le ventre.
30 novembre, enfin le dernier arrive, entre dans la danse. Quelques mouettes aux yeux perçants s'approchent. Il va falloir faire vite. Nous voilà prêts, tous alignés en file indienne par ordre croissant, du plus petit au plus grand. Nul besoin de signal. Dans une chorégraphie parfaite et rapide, chacun prend l’habitacle de celui qui le précède. Le ballet a lieu en un clin d’œil… les mouettes n’y ont vu que du feu.
Moi, fier de ma carrosserie, je repars dans ma petite voiture rouge, je file dans ma nouvelle carène respirer le varech et la mer.
Là-bas, comme rapetissé, Gros Goulot titube sous le poids d’une coquille un peu trop lourde. Les mouettes s’envolent, des vagues effacent les minuscules traces de pattes sur le sable.
Au loin, abandonnée sur la plage, reste une petite coquille vide.