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Affichage des articles associés au libellé Martin Chabert

L'homme sans main, par Martin Chabert

Hier, ou avant-hier, ou peut-être avant-avant-hier, lorsque je n’étais pas né, j’ai commandé un croissant à la boulangerie, mais ils n’en avaient plus, alors j’ai demandé une baguette, mais ils n’en avaient plus, alors j’ai demandé ce qu’ils avaient, et on m’a apporté, paraît-il, une petite histoire dans une barquette encore brûlante. Comme elle était trop chaude, je l’ai mise au congélateur, mais je l’y ai oubliée et l’ai retrouvée bien plus tard claquant des dents et toute rétrécie, alors je l’ai mise au micro-onde, mais après ça elle ne tenait plus en place, alors j’ai dû lui mettre un grand coup sur la tête et je l’ai mise au lit. Depuis, elle y reste endormie et ne se lève plus jamais. Alors, je me suis penché sur elle et j’ai écouté les mots qu’elle prononçait dans son sommeil, mais ils ne voulaient rien dire ! Alors je me suis penché plus près et j’ai écouté plus attentivement encore, prenant des notes durant sept jours et sept nuits. Et voici ce que l’histoire a dit : ...

Barbe bleue, par Martin Chabert

Le voile. Depuis qu’elle est arrivée, je ne ressens plus rien. Les volets restent clos et je n’en peux plus de l’attendre dans le noir qu’elle me soulève. Rien ne se passe. Son corps inerte, son souffle seul me parvient parfois d’entre mes mailles. Qu’elle est belle pourtant. Qu’elle est jeune aussi, comme les autres, et comme les autres pourquoi s’accroche-t-elle à sa robe jamais encore retirée ? Attend-elle ? Qu’attend-elle ? La rigidité qui l’habite semble s’acharner sur la dureté d’un  souvenir ou d’un espoir. La cérémonie, la fête, le sacré, ce genre de pacotilles. Je connais cette manière de disparaître, son visage sous une voilette, l’effacement du sourire. Maintenant mes yeux peinent à apercevoir sa silhouette flottante. On dirait un ange glacé, frigorifié, sans drap ni couverture, exposée sans personne pour la regarder dans sa vitrine. Attend-elle ? Qu’attend-elle ? La fenêtre. Je suis froide même en été. Pourtant je suis exposée plein sud. C’est q...

Nouveaux départs, par Martin Chabert

un homme une femme une petite fille ont disparu au passage piéton le feu est rouge les pierres meulières mouillées entre lesquelles l’eau comme les ruelles se faufilent minces filets de la dernière pluie hier avant-hier hiver zigzaguant sous les arbres morts les feuilles mortes glissantes collantes décomposées à l’angle de la rue ils ont tourné avant le porche en briques avant deux poteaux interdisant l’accès aux véhicules motorisés sur l’allée aux petits pavés roses et bleus passés hexagonaux le ciel n’était pas gris le jour était levé il y avait une certaine luminosité une luminosité suffisante un collège un skate-park un ballon sur la route une rue peu passante une chicane un bout de ville très résidentiel les voitures à cheval empêchant malgré tout le passage manquant presque de se renverser tant le trottoir est haut la nuit elles foncent sur moi les ailes déployées sortant du grand bâtiment noir aux fenêtres étroites un manoir perdu en zone résidentielle de vrais fleurs qui fanent...

Mes chers petits rats, par Martin Chabert

Ça y est. Ça reprend. Est-ce que ça a ou est-ce que ça vient de reprendre ? Comme si ça m’attendait. Ça n’attendait que moi. Je ferme les yeux, et je ne sais plus très bien, si ça se rapproche ou bien si c’est moi qui l’attends. Je veux dire, non seulement ce bruit qui revient sans arrêt et qui n’a pas finit de me casser les oreilles, mais encore autre chose, derrière : une sorte de biscuit qu’on me grignoterait directement dans le conduit auditif.  Dans une telle situation, naturellement, on pense d’abord à un rongeur, peut-être une souris, avec son museau humide et l’allure craintive de ses petites pattes de devant. Est-ce que j’avais déjà eu des souris chez moi ? Plutôt un rat ou deux, enfant. On précisait : domestiques, mais y a-t-il vraiment une race différente pour les rats domestiques ? Certainement. De toute façon, on s’en était vite débarrassés.  On avait d’abord songé les confier à une espèce de gothique qui m’avait entendu en parler au rayon...

Dans le miroir, par Martin Chabert

dans le miroir un camion déformé aplati surgit lentement à l’intersection dévoilant lentement un panneau une indication un peu tordue au niveau de la flèche le métal rappé difforme peut-être un camion l’a-t-il embouti peut-être intentionnellement comme une correction après coup comme une demande de changement de direction le gravier du gravier sur le béton le gravier formant des petits tas sur la chaussée brusquement évités ou découverts trop tardivement dans un sursaut dans le fracas des vitres à en retirer sa tête le tronc chétif la multitude de troncs chétifs aux feuilles comme des doigts palmés qui remuent entre les deux voies rapides où tombent une à une les figues minuscules et vertes qu’on ne prend pas la peine d’éviter oh si elles étaient bien rouges et molles il y aurait du jus qui sortirait comme un épais sirop du petit trou qu’il y a sous elles alors on pourrait trouver plaisir à rouler dessus quitte à salir ses pneus (peut-on tâcher un pneu?) en attendant elles s’amoncellen...

De part et d'autre des platanes, par Martin Chabert

de part et d’autre les platanes droits comme des poteaux alignés  courraient le long des pierres blanches assombries  par l’heure tardive quelle perspective s’offrait à lui cela se perdait  se heurtait quelque part au loin contre cette façade grise perdue  sur le béton aplati de frais sur le trottoir sur la route  avait roulé par terre une jante reposant à plat cachant  sa marque fuligineuse peut-être de luxe d’après le contexte local  mais souillant le voisinage les ombres lentes percutant les objets  les ombres avancent lentement sans obstacle s’arrêtent  se répandent au sol comme une tasse de café s’évasent  au bout de la rue là où la rencontre va avoir lieu là où  la façade attend blanchie par l’arrivée imminente comme  nettoyée en mesure un sommet pointu une clôture cossue un chat  y attend regarde fixe les lances vertes foncées comme les platanes  au-dessus à peine découpés sur les nuages glissant gris ouverts...