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Nouveaux départs, par Martin Chabert

un homme une femme une petite fille ont disparu au passage piéton le feu est rouge les pierres meulières mouillées entre lesquelles l’eau comme les ruelles se faufilent minces filets de la dernière pluie hier avant-hier hiver zigzaguant sous les arbres morts les feuilles mortes glissantes collantes décomposées

à l’angle de la rue ils ont tourné avant le porche en briques avant deux poteaux interdisant l’accès aux véhicules motorisés sur l’allée aux petits pavés roses et bleus passés hexagonaux le ciel n’était pas gris le jour était levé il y avait une certaine luminosité une luminosité suffisante

un collège un skate-park un ballon sur la route une rue peu passante une chicane un bout de ville très résidentiel les voitures à cheval empêchant malgré tout le passage manquant presque de se renverser tant le trottoir est haut la nuit elles foncent sur moi les ailes déployées sortant du grand bâtiment noir aux fenêtres étroites un manoir perdu en zone résidentielle

de vrais fleurs qui fanent parmi les bouquets en plastiques décolorés malmenés par le temps nous progressons dans l’allée de graviers nous enfonçons têtes penchés le vent amenant les pollens ou plutôt la pollution c’est l’hiver et déjà cette réaction allergique ce larmoiement dès les premiers pas dans le cimetière

une simple planche posée une inscription provisoire un logement provisoire un refuge un trou profond quelques pétales de roses jetées dans l’ombre avec au fond une certaine brillance une lueur sur le bois cirée du chêne comme l’était leur parquet

escalier A escalier B premier étage deuxième étage les enfants ou plutôt les collégiens se ruant à peine la sonnerie une sonnerie d’aéroport la même qu’il y a vingt ans à peine la sonnerie ayant sonné s’élevant avec les cris dans les airs franchissant les grillages les haies les murs en parpaings et l’enceinte en vieilles pierres surmontées de vieilles tuiles de tasseaux de qui les morts ont-ils besoin d’être protégés

ils n’avaient pas fait leur collège ici ils n’avaient pas grandi ici ils n’étaient pas nés ici ils avaient emménagés ici sur le tard s’étaient rencontrés à l’hôtel où il descendait régulièrement elle faisait le nettoyage il allait souvent à l’aéroport elle venait d’un pays lointain il était divorcé l’hôtel était pratique ma mère n’a jamais su comment ils avaient commencé un jour leur conversation

il promenait son chien je déteste les chiens un petit chien craintif une laisse rétractable il avait entendu il était persuadé il avait cru entendre une remarque quelque chose de blessant il en avait la certitude il voulait qu’on le croie elle s’était moqué de lui l’homme aussi avait rit ils avaient rient ensemble comme si de rien n’était poursuivant leur chemin c’était insupportable se faire marcher dessus ce n’était pas un chien qui pouvait tolérer cela

petit j’ai eu un chien aussi un grand chien blanc au bout d’une chaîne moi en roller et l’homme il faudrait dire mon père se mettait au bout de l’allée aux petits pavés roses et bleus moi bardé de protections lui se mettant à appeler le grand chien blanc moi traîné sur  c’était un peu dangereux c’est un souvenir un des seuls qui me reviennent avec lui

il les avait attendu quelque part à l’angle de la rue il n’était pas mon père il n’était pas mon grand-père ni un frère inconnu il n’était personne pour personne il aurait pu prendre la voiture de sa mère il aurait pu seulement les frapper ou leur crier dessus il aurait pu lancer son petit chien à leurs trousses il aurait pu ne rien faire du tout on ne peut rien prévoir avec les gens comme ça il aurait très bien pu ne pas passer à l’acte mais cela arrive c’est rare il avait pris un couteau malheureusement ça arrive

cette odeur de cirage dans les vieux escaliers cette vieille odeur d’enfance de vieillesse ils n’en ont pas eu elle serait luisante lustrée comme la rampe du skate park essuyée par les bourdonnements des roues des freins allez on accélère il faut passer à autre chose passer à autre chose passer