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La Coiffeuse de la Belle au bois dormant, par Anny Galopin

Elle est là, assise sur le tronc d’un chêne centenaire, coupé et sacrifié lors d’une fête au château, le jour de la naissance de la fille tant attendue par le Roi et la Reine, il y a de cela bien longtemps...

Que c’est long, et Dieu qu’elle s’ennuie ! Toute ridée par le temps, on la prendrait presque pour une sorcière. Comment a-t-elle pu résister jusque-là ?

La Bonne Fée Marraine n’ayant pu arriver à temps pour la naissance de l’enfant, un malheur s’ensuivit, et celle-ci, comme nous le savons tous, se piqua avec le fuseau d’une Fée de l’Ombre, ce qui la plongea dans un sommeil sans fin. Tout fut essayé pour la réveiller, mais rien n’y fit, hélas...
Elle avait juste dix-sept ans !

On décida donc de l’exposer dans un cercueil de bois fin et odorant, qui ne laissait la voir qu’à des regards de sujets particuliers et hautement triés sur le volet. C’était un privilège, comme il en existait dans toutes les cours d’une époque révolue. Ce cercueil fut placé alors dans un espace où les arbres, tous plus beaux les uns que les autres, garantissaient à la Princesse un environnement d’une beauté magique. Oiseaux et fleurs s’accordaient pour chanter et fleurir, sur le tempo d’une symphonie impossible à fixer sur une portée musicale...

Un jour, ô miracle, un concert de cigales, réunies pour annoncer la venue du Prince des temps passés, Prince qui lui était destiné, se fit entendre...
C’était le même qui réjouissait le monde de son enfance.

Notre coiffeuse, alertée par cette espèce d’insectes qui peut rester dans le sol pendant plusieurs années, voire jusqu’à dix-sept ans, s’affola.

Les cheveux de la Belle au Bois Dormant ayant tant poussé dans son cercueil, ils s’étaient faufilés dans les espaces de fermeture du linceul, pour aller s’enrouler dans les branches des arbres environnants, là où les cigales sont accrochées, discrètes et invisibles de l’œil du Tout-Venant. Elles sont les amies des malvoyants et des aveugles qui savent si bien percevoir ce que leurs frères, qu’on qualifie de voyants, ne sont pas en mesure de découvrir.

Notre coiffeuse, étant là pour remettre de l’ordre dans la chevelure de la Princesse à la sortie de son cercueil, surprise par l’évènement, n’hésita pas un instant et, d’un geste sûr et volontaire, rogna toutes les boucles de la Belle et les pendit aux branches des arbres environnants, de telle sorte que celles-ci caressent la tête du Prince à son passage...

L’effet fut magique. Le Prince, séduit et envoûté par ces caresses inattendues, se jeta dans les bras de la Princesse, encore toute ébouriffée...

La coiffeuse faillit s’évanouir. Elle reçut mille compliments pour son travail accompli en toute innocence et simplicité.

On fit de cette coiffure ébouriffée un modèle pour la mode du jour et de l’époque...