Il vole parce qu'il n'a pas de jambe. Il avance. Il avance seul. Il n'a pas de jambe. Ni jambe, ni bras. Il n'a pas de corps. C'est l'index. L'index gauche de pépé. Pépé l'avait perdu. Scric scric SRAC. Pépé l'a perdu il y a un gouffre, une vraie faille de temps. Et moi, je l'ai trouvé. Enfin, c'est lui qui m'a montré entre les failles. Il est là. Devant moi. Il est là et il vole. Il vole seul juste devant. Il vole droit, tout debout de lui. Il me regarde. Oui, il pointe. Il me pointe et m'enface. Il pourrait me curer le nez mais il ne fait rien. Du temps, du temps et l'index part.
Du temps. Du temps et il y a ça. Ça, ça vole aussi. Mais, pas seul. Cette fois, ça vole en groupe. C'est une poignée de cheveux. Des mèches toutes emmêlées. On dirait que les reflets bourdonnent pour suivre l'index. Je les connais. Je le reconnais ce bourdon échevelé, il est brun. Brun et raide. Ça bourdonne laid aussi. C'est le cancer qu'il a arraché. Il a serré et pincé sa tête. C'était si et tellement fort que maintenant elle aura sûrement des cheveux gris. Elle en sera contente maman. Elle a toujours voulu en avoir. Alors, maintenant, elle attend tout son gris de cheveux.
Ah, attend, regarde. Regarde mieux. Oui oui, plisse les yeux, ouvre les cernes: ils sont là. Ils sont là, ils se chamaillent. Ça se chamaille piquant. Ils se choquent et se choquent et s'entrechoquent. Pénibles. Ils sont vraiment pénibles. Ils s'abîment. Ils se choquent et se choquent et s'entrechoquent et se croquent et se cassent. Ils se bagarrent, ils s'émaillent, ils pincent, tirent et partent encore. Ceux-là, c'était les premiers. Les vrais. Les vrais sans plâtre dentisté. Ils se roulaient à cloche-pieds dans la cour de récréation. J'avais 6 ans. Je courais, je courais vite vite et vite encore. Tellement en trop de vite, tellement vite que croque vide, cloche-pieds chamaille, pieds assis, dents tremblent choquent choquent s'entrechoquent et partent. Le bétume a fait la bagarre, le goudron a gagné. Les dents en multitudes morceaux pépient devant. Ils s'émaillent encore et encore devant. Ils s'éparpillent et « zou allé ! Partez ! ».
Mmmmmh mmmmmmh mmmmmmmh Tu sens mmmmmmmmh mmmmmmmmh mmmmmmmmh un pelage de son mmmmmmmmmmh mmmmmmmmmmmh mmmmmmmmh c'est les souvenirs
textes issus d'ateliers d'écriture animés par Martin Chabert