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Articles

Lettre ouverte à ma bibliothèque magique, par Anny Galopin

— Sais-tu que tu me fais trouver sans attendre, ni me tromper, les livres dont j’ai besoin, pour répondre aux questions qui m’assaillent ? — Sais-tu que j’entends les héros des romans qui t’habitent, quand ils ont envie d’être sortis des rayons où ils sont serrés et obligés de se taire ? Je me permets alors d’en faire sortir plusieurs à la fois, et je me régale, en passant d’un livre à l’autre, sans me soucier de les terminer obligatoirement. Je m’appelle alors Madame Colibri, celle qui picore, comme l’oiseau de son nom, partout dans le cœur des fleurs. Alors, mon imagination se déploie, et m’inspire pour écrire, moi aussi. — Sais-tu que sans toi, je serais morte désespérée, depuis longtemps, enfermée que j’étais, dans une dépression redoutable ? On l’appelle dépression mélancolique ! Drôle de mélancolie, crois-moi… Tu m’as nourri de toutes tes richesses, mieux que ce qu’aurait pu faire un pharmacien, avec ses produits guérisseurs, plus toxiques que bénéfiques, pour le corps et l’espri...

Volatile, par Hinatea Petit

Tane le savait avant tous les autres. Petea l'avait averti. Au cours d'un songe, les deux êtres s'étaient croisés. Inévitablement. L'un vagabondait sur la plage, les pieds recouverts de sable fin, mōrī pata et canne à pêche en main, insouciant. L'autre, guettait les passants, perché dans un tamanu , alerte. Ce dernier interpella Tane : – Enfant des îles, est inscrit en toi le besoin du soleil, de la mer et de l'immensité. Nous sommes faits du même bois. Avance vers moi ! Le petit garçon distinguait une mince silhouette d'entre les branches. Intrigué par cette voix tombée du ciel, il s'approcha puis demanda :  – Mais qui es-tu ?    – Mon nom est Petea. Âme céleste, sentinelle des terres habitées, je veille sur les archipels. Au milieu des montagnes vibrantes, au-dessus des vallées qui respirent, dans le sel et l'ombre, je porte l'océan, les fossiles en cicatrices et l'empreinte de ta main à la surface de mon rivage. Les ancêtres ...

Batman toujours, par Corinne Esparon

De qui tient-il ce teint blafard, cet embonpoint maladif ? Il se sent seul, très seul, c'est indubitable. Sur son trône d'opérette, il attend que le jour finisse. Ce matin encore, il ne s'est pas rasé. L'insomnie le ronge, agrandissant chaque jour le bistre sous ses yeux rougis par les heures de veille. De vieux fantômes lui rendent visite à la nuit tombée. Nuit où il retrouve en ribambelle tous ses aïeux. Ses vieux parents et sa bienaimée, si belle et si pâle et si morte dans ses longs voiles blancs. Au matin, il flotte encore dans la chambre assombrie son parfum entêtant, mais si diffus, si tristement diffus. Il l'appelle, tente de se souvenir de vieux poèmes oubliés qu'ils lisaient ensemble, tendrement enlacés. Il voudrait les réciter encore, mais sa voix se brise. Son trône d'opérette est un trône miteux et on peut bien le dire, mité. On l'a recouvert un jour d'une tapisserie déjà ancienne, très lourde et très épaisse. Le temps et les mites ont e...

Les tribulations de Bernard, par Rachel Ghezail

Ce pauvre Bernard avait regagné son banc à cette heure très précise. Personne ne l’attendait et il avait toute sa journée, emprisonné dans une liberté qui s’apparentait à de la vacuité. Les mauvais jours, il râlait sur les joggers qui le frôlaient les écouteurs sur leurs oreilles. Les bons jours et lorsqu’une âme indifférente ou esseulée prenait la peine de s’asseoir sur ce banc, il disait des bribes de sa vie passée. La vie ne lui avait pas toujours joué de vilains tours. Autrefois, il avait été voyageur de commerce. A cette époque, il cochait toutes les cases des lieux communs attribués à la profession. Il avait un foyer et une épouse toute dévouée au bien-être d’un mari le plus souvent absent. Elle refusait de voir les infidélités presque systématiques de son époux ou bien elle se disait que c’était un des dommages collatéraux au métier "sans sexe, point de contrat ». Lui, en bon coq, se sentait pousser des ailes chaque matin et reniflait la bonne affair...

Conte du moulin, par Maoh Guillaume

L’histoire que je vais vous raconter me vient de ma grand-mère. Je l’ai peu connue car elle passait son temps en voyage. Elle en revenait toujours avec des choses étranges. Un jour elle arriva avec des malles remplies de nouveaux habits, mais avec les cheveux aussi courts qu’un militaire. Une autre fois, elle ramena une magnifique petite flûte en terre, mais sans aucune de ses affaires. On ne savait jamais où elle partait, ni quand elle rentrerait. Et c’était bien comme ça. Je vais tenter de vous raconter l’histoire comme elle le fit, un soir d’hiver.     Cric     Crac     Font les bûches dans le feu     Cric     Crac     Font les poutres au-dessus de nos têtes Ce soir, dans le ventre du moulin Tout s’est arrêté L’activité est en suspend Le bruit de la meule résonne encore dans les oreilles engourdies de travail. On peut voir les ombres de la famille danser sur les pierres au rythme du feu. A l’éta...

Alice Torrel, par Cécilia Tarek Strano

Alice fixe son reflet et les plis de souvenirs qui s'y sont déposés. La vie a coulé derrière elle, tellement coulé d'encre que les poches sous ses yeux ont foncé vers un bleu terne et délavé. Loin du bleu roi, du bleu cobalt ou du bleu turquoise. Malgré ce bleu fade qu'elle endosse, Alice semble être en harmonie avec le carrelage grès cérame indigo de sa salle de bain. Elle se fond dans le décor comme ce fond de teint incrusté dans les pores du meuble sous l'évier. En cette nuit hivernale nappée de neige, de givre et de glace, Alice, réfugiée dans la salle d'eau de son appartement situé au 4ème étage, se lave les mains, se savonne les paumes, récure ses ongles et se frotte les doigts l'un après l'autre sans jamais lâcher du regard son image. Huit ans que chaque nuit, entre 1h et de 2h du matin, elle sort de son lit, se traîne jusqu'à l'évier, ouvre le robinet et laisse couler un filet d'eau sur ses mains fatiguées. Huit ans que ce geste est deven...

L'homme sans main, par Martin Chabert

Hier, ou avant-hier, ou peut-être avant-avant-hier, lorsque je n’étais pas né, j’ai commandé un croissant à la boulangerie, mais ils n’en avaient plus, alors j’ai demandé une baguette, mais ils n’en avaient plus, alors j’ai demandé ce qu’ils avaient, et on m’a apporté, paraît-il, une petite histoire dans une barquette encore brûlante. Comme elle était trop chaude, je l’ai mise au congélateur, mais je l’y ai oubliée et l’ai retrouvée bien plus tard claquant des dents et toute rétrécie, alors je l’ai mise au micro-onde, mais après ça elle ne tenait plus en place, alors j’ai dû lui mettre un grand coup sur la tête et je l’ai mise au lit. Depuis, elle y reste endormie et ne se lève plus jamais. Alors, je me suis penché sur elle et j’ai écouté les mots qu’elle prononçait dans son sommeil, mais ils ne voulaient rien dire ! Alors je me suis penché plus près et j’ai écouté plus attentivement encore, prenant des notes durant sept jours et sept nuits. Et voici ce que l’histoire a dit : ...

La chute, par Claire Lions

    Est-ce que c'est ce type qui lui a fait perdre l'équilibre ? Est-ce l'odeur du tilleul ? Ou son étourderie ordinaire ?     Parfois, pendant les trajets à vélo, elle oubliait son itinéraire, portée par une vague habitude, et elle devait faire un effort soudain pour se rappeler où elle allait.     La place, elle, était toujours telle qu 'elle l'avait connue. Monumentale et populaire. Autrement dit colorée, bruyante, sale, cosmopolite, mal entretenue, vivante. Ce jour-là, particulièrement, le rayon de soleil qui sautillait dans les feuilles et l'appel des tourterelles semblaient attendre tranquillement le tournage d'une publicité pour un apéritif sans alcool, ou peut-être pour une assurance-vie.     Mais surtout les tilleuls étaient en fleurs. Elle n'arrivait pas à savoir quel souvenir d'adolescence et de piscine municipale renfermait ce parfum, mais elle essayait d'en respirer le plus possible, comme si el...

Lettres ouvertes et manifeste, par Claire Desmazières

     J'ai essayé de t'écrire une lettre J'ai essayé de t'écrire une lettre. Je l'ai mâchée longtemps et je l'ai avalée. Elle a collé dans les dents, j'y ai passé ma langue. Elle avait un goût d'amertume pâteuse. Elle s'est peu à peu délitée, noyée dans la salive. J'aurais voulu la cracher mais elle avait déjà perdu sa forme. Ou alors c'était irrépressible. Elle est restée longtemps dans la gorge, tapissant la trachée. J'ai beaucoup roté. J'ai essayé les boissons sirupeuses, le miel l'a réaglomérée. J'ai essayé l'alcool fort, drôle d'idée ; les torboyaux n'ont jamais aidé à digérer. J'ai essayé le café, mais le cauchemar ne s'est pas dissout. Il fallait dormir peut-être pour aller dans ton sens ? J'ai essayé, essayé... Hier j'ai bu la tasse en mer et tu es descendue dans mon ventre. Mon corps en lévitation, étoile de mer. J'écoute les bruits de l'eau dans mes entrailles. J'entends la mer ...

La brodeuse de l’ubac, par Fauve Beauvieux

Savez-vous que les araignées sont symbole de créativité et de persévérance ? Souvent détestées, effrayantes avec leurs huit pattes et leur dizaine d’yeux, voire annonçant la mort et les forces du mal, n’oublions pas qu’elles sont aussi un signe de maison saine. Les légendes disent que se sont elles qui tissent le destin. Mais les araignées de cette histoire-ci ne vont pas l’écrire, juste soutenir notre héroïne pour plus de lumière. Au tout début, il y avait la montagne. Majestueuse. Si haute qu’elle touchait les nuages. Sur l’ubac de cette montagne se trouvait un chalet. Il était de couleur grise pour se confondre avec le paysage, et avait un toit vert pour faire comme les sapins. C’est dans ce chalet discret que vivait notre héroïne. Elle y est née, elle y a toujours été. Depuis quand était-elle seule ? Elle ne s’en souvenait plus, cela commençait à dater. Descendante d’une lignée de brodeuses et pour avoir un peu de lumière dans sa solitude, elle était capable de réaliser de...