— Sais-tu que tu me fais trouver sans attendre, ni me tromper, les livres dont j’ai besoin, pour répondre aux questions qui m’assaillent ?
— Sais-tu que j’entends les héros des romans qui t’habitent, quand ils ont envie d’être sortis des rayons où ils sont serrés et obligés de se taire ?
Je me permets alors d’en faire sortir plusieurs à la fois, et je me régale, en passant d’un livre à l’autre, sans me soucier de les terminer obligatoirement.
Je m’appelle alors Madame Colibri, celle qui picore, comme l’oiseau de son nom, partout dans le cœur des fleurs.
Alors, mon imagination se déploie, et m’inspire pour écrire, moi aussi.
— Sais-tu que sans toi, je serais morte désespérée, depuis longtemps, enfermée que j’étais, dans une dépression redoutable ? On l’appelle dépression mélancolique !
Drôle de mélancolie, crois-moi…
Tu m’as nourri de toutes tes richesses, mieux que ce qu’aurait pu faire un pharmacien, avec ses produits guérisseurs, plus toxiques que bénéfiques, pour le corps et l’esprit…
— Sais-tu que les jours de pluie, quand la grisaille s’acharne à vouloir effacer les couleurs de l’arc en ciel, les poètes que tu accueilles, m’appellent et m’incitent à venir rêver avec eux ?
C’est alors que je sors mes pinceaux, et du gris envahissant de l’extérieur, je fais jaillir une toile aux couleurs captivantes, et porteuses de joie de vivre.
— Sais-tu que, sans toi, j’aurais perdu tout mon potentiel de curiosité, celui qui est la base de mon évolution ?
Tu actives mon arbre à pensées, et les branches qui s’agitent à travers tes livres, donnent des fleurs et des fruits que les saisons font vivre ?
De la jeunesse à l’éternité !
— Sais-tu que ce que tu inspires à ceux qui éditent tes œuvres, dans des collections merveilleuses, me fait m’inquiéter et penser que je n’aurai jamais assez de temps pour lire tout ce que j’aimerais lire avant de mourir ?
Est-ce pour cela qu’on me dit toujours « Vous ne les faites pas! », lorsque j’annonce le nombre d’années qui se sont accrochées à mon horizontalité ?
— Sais-tu que je me soucie de ce que tu deviendras, quand je devrai te quitter ?
Tu n’es pas autorisée à venir t’installer dans les cieux de l’après-vie !
Tu ne peux y vivre que dans les mémoires subtiles, que nos ancêtres emportent avec, ni vu, ni connu. J’aurai à parler d’elles dans l’avenir.
Je vais donc devoir chercher celui ou celle qui voudra bien veiller sur toi.
Avec les tablettes et tout ce qui se substitue aux livres, de nos jours, cela va me compliquer la tâche. E pourtant, quoi de plus agréable que de prendre un volume, tourner les pages dans un sens ou dans l’autre… Le fermer! Le rouvrir ! Le mettre en attente ! Une présence bienfaisante !
Les boîtes à livres découvertes à Marseille, m’ont permis de me plonger parfois, dans des ouvrages que je n’aurais pas eu l’idée d’acheter ni de consulter dans les bibliothèques traditionnelles.
— Sais-tu qu’une femme-peintre, à qui je te faisais connaître, m’a conseillé de ne pas te montrer, comme s’il y avait là quelque chose de dangereux et de répréhensible, me concernant ?
Dois-je me sentir coupable de vous aimer autant que je vous aime ?
— Sais-tu que la liberté qui est la mienne, de pouvoir consulter tes habitants silencieux, est la plus belle récompense que l’école obligatoire m’a permis de vivre ?
J’ai appris à lire seule, avant l’âge décrété par une institution, et je tiens à garder cette liberté d’apprendre, sans me soucier de l’âge du penser conditionné…
Les neurosciences nous assurent que nous sommes programmés jusqu’à 120 ans, voire plus selon les progrès à venir.
À quoi bon se presser, et se soucier de l’approbation d’autrui, qui est tenté de te dire : « Ce n’est plus de ton âge ! »
« Tout cela va à la benne », comme cela m’a été dit brutalement, par un faux ami, en regardant les manuscrits que j’écris, et qui sont exposés sur les rayons de ma bibliothèque magique…
Il n’a jamais remis et ne remettra jamais les pieds chez moi.
« Qui s’y frotte, s’y pique ! »