Tane le savait avant tous les autres. Petea l'avait averti. Au cours d'un songe, les deux êtres s'étaient croisés. Inévitablement.
L'un vagabondait sur la plage, les pieds recouverts de sable fin, mōrī pata et canne à pêche en main, insouciant. L'autre, guettait les passants, perché dans un tamanu, alerte. Ce dernier interpella Tane :
– Enfant des îles, est inscrit en toi le besoin du soleil, de la mer et de l'immensité. Nous sommes faits du même bois. Avance vers moi !
Le petit garçon distinguait une mince silhouette d'entre les branches. Intrigué par cette voix tombée du ciel, il s'approcha puis demanda :
– Mais qui es-tu ?
– Mon nom est Petea. Âme céleste, sentinelle des terres habitées, je veille sur les archipels. Au milieu des montagnes vibrantes, au-dessus des vallées qui respirent, dans le sel et l'ombre, je porte l'océan, les fossiles en cicatrices et l'empreinte de ta main à la surface de mon rivage. Les ancêtres m'ont envoyé te porter un message.
– Quoi donc ?
– Prends soin de l'espace, ne néglige le murmure d'aucun arbre, d'aucune eau, sois à l'écoute de tout l'absent. Enracine-toi dans ce que tu as de plus profond, prête main tendre à l'avenir et détourne toi des routes azur, je t'en conjure ! Une menace plane sur ton héritage.
Tane ne put répondre, que, déjà, l'oiseau de mauvais augure disparaissait dans les draps sombres de la nuit.
Chaque année, le même rêve refaisait surface tels des coraux que l'on voit poindre au crépuscule lorsque la marée est basse. Cependant, Tane se révélait sourd face aux présages. Alors que la pénombre succombait à l'écrasement du jour, l'adolescent de seize ans annonça solennellement à ses proches qu'il deviendrait pilote de ligne. Ravies par cette décision, les grandes personnes l'y encouragèrent vivement. Ainsi se déterminait la trajectoire de son avenir.
Le pētea incitait Tane à poursuivre une nouvelle quête. Il demeurait dans les parages jusqu'à la fin, espérant que son protégé change de voie, en vain. Dix ans plus tard, l'insulaire était aux commandes du premier avion qui reliait Tahiti au reste du globe. A bord de l'appareil, Tane s'élançait vers les confins lumineux et éthérés de son fenua. En survolant le Pacifique, l'heureux conducteur se sentait parfaitement à sa place. Il ferma ses paupières, serein dans cet interstice où le temps se dilate.
Soudain, sans qu'il ne sache pourquoi, les battements de son cœur-tambour résonnèrent à travers sa poitrine. Il rouvrit les yeux, trop tard. Dans le désert bleu, les destins s'affrontèrent. La collision fut inéluctable. Les hélices tranchèrent l'aile vigoureuse de Petea qui heurta le sol. L'aviateur avait abattu l'oiseau. Son oiseau. Son tāura. Dans les narines étroites du petit animal se gravaient la puanteur de l'homme et du kérosène.
Tane l'avait su avant tous les autres. Petea l'avait alerté. A l'aube, les deux âmes s'étaient croisées. Immanquablement.