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Lettres ouvertes et manifeste, par Claire Desmazières

    J'ai essayé de t'écrire une lettre

J'ai essayé de t'écrire une lettre.
Je l'ai mâchée longtemps et je l'ai avalée.
Elle a collé dans les dents, j'y ai passé ma langue.
Elle avait un goût d'amertume pâteuse.
Elle s'est peu à peu délitée, noyée dans la salive.
J'aurais voulu la cracher mais elle avait déjà perdu sa forme.
Ou alors c'était irrépressible.
Elle est restée longtemps dans la gorge, tapissant la trachée.
J'ai beaucoup roté.
J'ai essayé les boissons sirupeuses, le miel l'a réaglomérée.
J'ai essayé l'alcool fort, drôle d'idée ; les torboyaux n'ont jamais aidé à digérer.
J'ai essayé le café, mais le cauchemar ne s'est pas dissout. Il fallait dormir peut-être pour aller dans
ton sens ?
J'ai essayé, essayé...

Hier j'ai bu la tasse en mer et tu es descendue dans mon ventre.
Mon corps en lévitation, étoile de mer.
J'écoute les bruits de l'eau dans mes entrailles.
J'entends la mer qui masse les cailloux en fond.
Il faudrait essorer une bonne fois les cailloux qui pleurent.
Ils deviendront sable un jour.

J'irai danser sur les plages pieds nus.
Tu descendras et tu seras éjectée.
Mon corps gardera ce qui peut lui être utile.
J'ai essayé d'écrire une lettre, je l'ai mâchée longtemps et je l'ai avalée.
Je l'ai tutoyée mais elle n'a pas disparu.

 

**

 

    A la lourde responsabilité des mères

Les mères ont la peau dure.
Les mères sont des dures à cuire.
Les mères sont agitées.
Les mères sont inquiètes.
Les mères avalent les enfants
non c'est les baleines,
non c'est le contraire.
Les mères ont le droit de pleurer en silence.
C'est salé.
Les mères ont le droit de rêver.
Les mères ont vaguement le droit à l'inattention.
Les mères s'emmêlent dans les écheveaux débridés.La mère
De et part Dieu
Comment a-t-elle fait ?

Les mères ratent.

Et la mère du cochon passé sous un camion ?
Qu’avait-elle fait ?
Qu’aurait-elle fait si elle avait su ?
Qu’aurait-elle pu faire ?

Les mère rêvent.

Les mères ont elles le droit de rêver aux bourgeons qui affleurent au printemps dans la terre froide ?

Les mères s’inquiètent de la fille à naître.
Les mères s’inquiètent de la répétition.
Les mères s’inquiètent.

Les mères demandent leur part de trouble au désir.

Pourtant les mères sont des dures à cuire.

La mer continue de porter, de charrier, de bercer, de démonter, de se démonter, de se retirer, de revenir, de ressasser. 

Le ressac amène souvent des surprises.
On les ramasse sur la plage au réveil.
Le ressac a une utilité frappante.
Il laisse une trace rouge sur la peau qui dure.
Parfois on peu y lire une lettre ou verte ou rouge,
Cuisante.
 

**
 

    Lettre à Y
 

Entre nous il y a une queue de billard. 

Et c’est là que...
Le billard
et le corps.
 

C’est souvent un proche trop proche.
 

L’adversaire.

Entre nous il y a ma sœur et ça fait un triangle en rebond.
C’est la mouche centrale.
 

Et puis tu touches.
Carreau
C’était une enfant.

On aurait aimé faire barrage.
On aurait aimé être au centre.

On aimerait te couper en rondelle.
On aimerait la couper. 

Peut-être est-ce là, le point de départ ? 

Bleu, bosses et carambolage.
Y en a-t-il eu d’autres ? 

Le monde est cassé.
Puis vient le temps de dire et d’entendre.
On fait bande.
On aimerait être avec,
On aimerait être au centre. 

Les yeux bandés, Thémis hésite, de l’épée à la balance que va-t-elle faire ? 

Et puis tu dérapes
Et la roue du camion tourne encore après ton corps.
Un bâton dans les roues. 

Une mouche s’est posée sur ton corbillard.
Que dit ta mère sur ta tombe ?
Que dit la mère de tes enfants ? 

Depuis ce nouveau point on tente de se replacer.
C’est le 3ème repère.
Point de replacement. 

Le temps du jeu reviendra.
Mais, à chaque fois que tu tires, tu as peur de trouer le tapis,
et la prairie en dessous. 

Tu danses dans le sable des mots pour percer le mystère.
Quel sens ? Dans quel sens ? Comment est-ce... ? 

Aucun

Rien
Et si non
Rien 

Thémis joue aux billes et à la marelle. 

On accueille les enfants dans le trouble.
Ce sera une fille ou un garçon.
Est-ce que les deux sont inquiétants ? 

Entre nous deux il y a une queue de billard,
Une mouche,
Un corbillard,
Et des questions sans réponses. 

La sœur est mère
Je suis mère
Et notre mère... 

On ne crierait pas la même chose sur ton tombeau. 

Et la table de billard est transformée. 

Il y a des cyprès dans les cimetières.
On dit que leur racines poussent droit sans chatouiller les morts. 

Il y a des cyprès,
Leur odeur entête, trouble.
On dit qu’ils coupent le vent. 

Il fait froid pourtant. 

Ils se tiennent serrés en bande. 

Le frêne est un meilleur bois pour les queues de billard. 

Mais je planterai un hêtre pleureur sur ta tombe.
Et dans ses lianes tortueuses, les jours de grand vent, on entendra le trouble
Dans l’écriture. 

Malgré l’impardonnable, les bourgeons.
Et dans ses feuilles, simples, caduques, des réponses tomberont une à une, l’hiver. 

Entre toi et moi il y a un hêtre, un naître, un être.