De qui tient-il ce teint blafard, cet embonpoint maladif ?
Il se sent seul, très seul, c'est indubitable.
Sur son trône d'opérette, il attend que le jour finisse.
Ce matin encore, il ne s'est pas rasé. L'insomnie le ronge, agrandissant chaque jour le bistre sous ses yeux rougis par les heures de veille.
De vieux fantômes lui rendent visite à la nuit tombée. Nuit où il retrouve en ribambelle tous ses aïeux. Ses vieux parents et sa bienaimée, si belle et si pâle et si morte dans ses longs voiles blancs.
Au matin, il flotte encore dans la chambre assombrie son parfum entêtant, mais si diffus, si tristement diffus.
Il l'appelle, tente de se souvenir de vieux poèmes oubliés qu'ils lisaient ensemble, tendrement enlacés. Il voudrait les réciter encore, mais sa voix se brise.
Son trône d'opérette est un trône miteux et on peut bien le dire, mité.
On l'a recouvert un jour d'une tapisserie déjà ancienne, très lourde et très épaisse.
Le temps et les mites ont eu raison d'elle.
Du haut de son trône, dans ses habits d'apparat, la journée ne passe pas.
Un manchot empereur ou un empereur manchot, traverse la pièce. Imperceptiblement, il bat l'air de ses moignons d'aile. Il se dandine fièrement dans son frac noir. Au milieu de toute cette élégance en noir et blanc, une puce incongrue mais sympathique.
Aujourd'hui, les jeux sont faits. Les usurpateurs sont partout. Ils jonchent le sol.
Ah ! Un poème de Verlaine lui est presque revenu.
La puce sympathique a sauté sur ses genoux.
Les usurpateurs et le manchot l'amusent.
Pour la première fois depuis très longtemps, un sourire a fleuri au coin de sa bouche.
La puce le gratte, le distrait de son chagrin.
Et s'il se levait pour ouvrir les volets ?
Parfois les jours en finissant sont très beaux et la fenêtre est vaste.
Doucement, il a posé sa tête sur sa main. Il a fermé les yeux et s'est endormi sans rêve.
La puce sautille sur son épaule. Le manchot empereur ou l'empereur manchot se couche à ses pieds et entame un long monologue.
Dans leurs cadres vieil-or, les portraits sourient.
Il y aura un bon dessert ce soir.
La petite puce et le manchot s'en pourlèchent d'avance.
Les mites de la tapisserie font la farandole.
Le petit roi de pacotille ne se réveille même pas.
Maintenant, le poème de Verlaine lui est revenu tout entier, et sa bienaimée vient de le traverser.
Pour la deuxième fois de la journée, il sourit.
Rien ne vient interrompre son songe, pas même les usurpateurs qui jonchent le sol.
Ainsi, tout est bien. La nuit peut venir.
textes issus d'ateliers d'écriture animés par Martin Chabert