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Articles

La Vierge, la Putain, la Sorcière, par Anna Schmit

 ... Ou une sainte trinité au féminin Mesdames, Messieurs Prêtez-moi attention, J’ai une histoire à vous raconter Celle du plus grand secret de l’humanité Je la tiens de Sainte Anne, mère de Marie Qui, fière de sa fille, me l’avoua Mais chut ! N’allez pas lui dire que je vous l’ai raconté Car la grand-mère de Dieu est soupe au lait Et pourrait bien se fâcher Voilà que Dieu dans sa grandeur a offert aux femmes un véritable pouvoir Le plus grand de tous les pouvoirs Convoité par les hommes de loi comme par les hommes de foi Il accorde au féminin la Sainte Trinité La fille, la mère, la sainte âme Ou la Vierge, la Putain, la Sorcière * Il était une fois, Une belle jeune fille Au visage rond Aux joues roses et charnues Aux yeux clairs comme l’océan Et au corset si serré, qu’elle ne pouvait respirer De son corps potelé se dégageait une odeur de crème fraîche et de petit lait. Nous l’appellerons Marie, ou Myriam, surnommée la Vierge Elle hoquetait ; les larmes qui coinçaient dans sa gorge...

The Massalia Conte System, par Vincent Lagarde

... extrait du recueil des contes de Monsieur V Le petit Luc n’était pas un enfant sage, tous les mercredis matin, il collait son front sur le chauffage pour échapper à l’école. De guerre lasse, la maman appelait son propre père pour le garder. Le papet venait toujours avec son grimoire rempli d’histoires, il s’asseyait au bord du lit et, à chaque fois, il ironisait. Le papet : « Eh bien, mon garçon, tu as l’air d’aller mieux, je crois bien que tu peux aller en classe. » Luc : « Non, non, tu te goures, papet, je suis souffrant et impotent, comme la mamie dans l’histoire avec le loup. Argh… » Il mimait alors son agonie. Le papet, point dupe, reprit : « Alors, comme par hasard, une bonne histoire te remettra sur pied ? » Luc : « Oui, si elle dure toute la journée. » Le papet : « En voilà un garçon gourmand, et la gourmandise est un vilain défaut. » Luc : « Oui je sais, tu l’as lue plein de fois, Hansel et Gretel. Je veux une autre histoire ! » Le papet, feuilletant son grimoire, s’arrêta...

La pente, par Martin Gracia

Ici, il n’y a pas d’errance, pas de révérence. En pente, il fait 40°tous les jours, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige. Regard droit, tourné vers l’horizon. Et hop, lever le pied. Pointe de pied tendu, haut hisse le mollet ! Tourner la cheville et PAF le talon ! Poser le pied, planter la pointe. Tu la doubles. Double là je te dis ! Tu dois passer devant, tu vas plus vite, tu n’as pas peur. Toi, tu ne t’arrêtes pas. Tenir la stature, planter les orteils dans les pâtures. Nord cap Nord ! Du tendon au mollet tendu, surtout ne pas tomber, jamais flancher… Regardez ! Là ! Il ne bouge pas. Sa jambe droite plus courte que sa jambe gauche. Déséquilibré ! J’attends tendu, pentu. Trouvant mon équilibre dans la pente obtuse. Remonter la pente, qu’ils disent, je dois remonter la pente. Me retenir pour ne pas tomber et cogner, voler… Rouler bouler … Le verdict est tombé, ils ont goudronner la pente. Déséquilibrés! J’entends encore le bruit de la déconstruction, un cliquetis de pierres net, se...

Porte d'Aix, par David Amblard

Fin de zone à trafic régulé, remarque-t-il sur l’un des panneaux de Porte d’Aix. Des immeubles cassés vomissent du rose. Il réajuste son bonnet, en été, en printemps, en hiver, il ne le quitte jamais. On le surnomme « L’homme rocher ». Des lunettes le scrutent, pas de menaces, juste des avertissements, dans une zone occupée. Ousmane connaît ses limites, son territoire, il a appris les règles sur le tard. Cela fait un certain temps qu’il est ici. C’est sa capacité d’adaptation qui a fait la différence, se dit-il, il a toujours su évoluer, s’adapter comme un don ancestral que ses ancêtres lui auraient transmis. Il y a soudain une coupure, une résonance sous ses pieds, l’écho répété de deux types en train de se massacrer. La violence ici intervient par bourrasque, explosion, jamais constante mais régulière, par touches. Un type à côté dit : « dès que j’ai mes papiers je me casse de Marseille », Ousmane sourit, il sait qu’il faut de l’argent pour partir. Il en a suffisamment maintenant, il...

Mon humain Pozzo, par Christine de la Souchère

Maître Pozzo, Je vous écris de ce lieu dérobé, où votre inconséquence m’a conduit. Inutile de vous rappeler la peine encourue à l’issue de votre procès. Le roi Narcisse IV ne plaisante pas avec les histoires de reflets. Vous, mon maître, devez payer l’amende et 1000 Florins et régler le problème des miroirs à double face, installés sans autorisation dans vos domaines, ceux-ci perturbant les déplacements des chars fleuris du Souverain. D’autre part, le Roi vous ayant surpris dans une situation délicate où votre manque d’empathie a provoqué un drame exemplaire, a rajouté 30 degrés à la sanction. C’est moi que vous avez désigné, de fait, comme le permet votre position sociale, pour subir la sentence à votre place. C’est ainsi que cela a toujours été, entre les classes de notre royaume. Lorsque le camion m’a emporté, j’ai vu la vallée une dernière fois, avec ses protubérances ondoyantes et ses alcôves légèrement blondies. Plus loin, à la frontière de notre monde, l’espace s’est fait plus p...

Je t'invite, par Estelle Bertin

Bienvenue. Bienvenue à toutes ! Bienvenue aux enfants ! Bienvenue aux mères, aux sœurs, aux filles, aux amies. Bienvenue à toustes, les hors des cases, les entre les deux Bienvenue aux frères, aux pères, aux fils, aux copains. Bienvenue à celles et à ceux qui sont venu.e.s ensemble Bienvenue aux autres qui sont venus seul.e.s, nous sommes ensemble Bienvenue à celles et à ceux qui ont dû partir, qui ont dû fuir, qui luttent perpétuellement. Bienvenue aux endeuillé.es, aux chagriné.e.s, aux larmes dans les yeux Bienvenue à ceux et celles qui restent et sont là ! Bienvenue aux sages, aux philosophes, qui acceptent. Bienvenue à celles qui ne veulent plus voir, parce qu'on a en trop vu. Fermez les yeux Bienvenue à ceux qui ne veulent plus entendre, parce qu'on en a trop entendu. Bouchez-vous les oreilles Asseyez-vous, reposez-vous. Mettons sur cette table, la liberté à portée de main Que celui ou celle qui la veut s'en saisisse, se serve et s’en resserve. Saupoudrons là sur les ...

Quitter les Oliviers par Ashley Ouvrier

Mme Herzi avait accueilli Géraldine exactement comme les six fois précédentes. Sur son canapé en velours marron, elle avait apporté sur la table basse en verre du salon un plateau sur lequel elle avait disposé une grande cafetière en métal, deux tasses serties d’un liseré d’or et des petits beignets saupoudrés de sésame et de sucre glace qu’elle avait préparés la veille. — On les appelle les doigts de la mariée chez nous, en Algérie, lui avait-elle encore une fois précisé, tandis que Géraldine rassemblait les dernières pièces nécessaires pour constituer le dossier de réclamation de Mme Herzi. Le mari de Madame Herzi, Mohamed Herzi, était un ancien soldat de l’armée française qui avait travaillé trente ans dans la même entreprise de maçonnerie basée à l’Estaque. Il était décédé six mois auparavant d’un cancer des poumons. Et depuis, sans que personne ne comprenne pourquoi, sa veuve, Mme Herzi, s’était retrouvée sans le sou, car elle ne percevait pas la pension de réversion à laquelle el...

Une coupe de cheveux, par Aroun Mariadas

Elle regarde ses deux amies assises sur les bancs en bois, le visage tourné vers le soleil tandis que les enfants dans les arbres crient en rigolant : « Appelez le 17 ! Appelez le 18 ! » Des blagues de gosses, ce n’est rien de plus que cela. Des silences d’adultes qui se reposent, ce n’est rien de plus que cela. Et pourtant, c’est tout à la fois. Derrière elles, ce matin-là, dans les arbres, des enfants accourent, escaladent. Iels grimpent ces êtres massifs et imposants, des arbres préhistoriques comme sortis d’un conte de fées. Elles, elles s’écoutent en riant. Elles rient d’agacement mais aussi de bon cœur du vacarme des mioches. Elles parlent de la lecture d’un manifeste féministe qu’elles sont en train de rater. Elles sont attentives au bruit des vagues. Chacune de leur voix s’échoue tranquillement sur les lattes des transats — doucement — chauffées par les rayons du soleil. Les mots. Les arbres. Les jeux en bois derrière elles. Tout est sculpté. Leur corps alanguis, au repos, qui ...

Les dix vies d’Aurore Dupin, par Cathy Loiseau

Une jeune fille vient d’accoucher. Bébé mort ? Bébé échangé ? Elle ne sait pas, on le lui a caché. Elle est sûre, le bébé a pleuré. Elle entend les pleurs, encore et encore… Où es-tu ? Où es-tu Aurore ? Je suis là ! En l’an de grâce 1902, En ce printemps, j’ouvre les yeux ! Pendant la guerre, une balle me transperce le cœur ! Non, non, n’ayez pas peur ! Nous avons tous droit à plusieurs vies ! Quelques unes des miennes ne seront pas jolies… Cette année-là, maman, maman jolie, Mon père s’est enfui… J’hérite du noir de ses yeux Qui transpercent la pluie… Je fais de mon mieux Pour apprendre la vie. Plus tard, seule, un soir, Je cherche à savoir. Je le retrouve, il est beau, Il peint des tableaux. Je m’inscris à son cours, Le cœur bien trop lourd. Je me découvre la même passion, J’absorbe les mots de ses leçons… Je veux pourtant le tuer ! Je me rends dans son atelier, Un samedi soir enténébré, Mon flingue a un silencieux, Je vise juste, pour...

Un momento sin azúcar, par Renaud Hubig

Les gens de Las Palmas commençaient à m’appeler L’homme au toucan. « Toucan royal ! » Je répondais, et ils enchaînaient souvent : « Est-ce que tu lui as donné un nom ? » et je regardais mon toucan avec une grimace embêtée. Puis j’enchaînais : « Quand j’étais tout petit, je rêvais d’être un Peau-Rouge et mon nom était Toucan Royal. Donc, pour me donner de la chance aujourd’hui, j’ai fait ce toucan sur les quais du port avec du carton et de la peinture. C’est mon totem. » Force est de constater que l’oiseau ne m’a pas vraiment aidé dans mon aventure. Et j’ai erré de longues semaines sur les quais de la marina de Las Palmas, à la recherche d’un bateau pour traverser l’océan. Sans succès. Dans la masse des marins, mon esprit vagabondait dans le vague des étendards flottants. Minuscule parmi les voiliers, je me demandais ce qu’il fallait que je fasse pour qu’un de ces pontons puisse un jour porter mon nom. Parce qu’en récompense d’un acte de bravoure, une rue peut porter votre nom. Par le s...