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Porte d'Aix, par David Amblard

Fin de zone à trafic régulé, remarque-t-il sur l’un des panneaux de Porte d’Aix. Des immeubles cassés vomissent du rose.
Il réajuste son bonnet, en été, en printemps, en hiver, il ne le quitte jamais. On le surnomme « L’homme rocher ». Des lunettes le scrutent, pas de menaces, juste des avertissements, dans une zone occupée. Ousmane connaît ses limites, son territoire, il a appris les règles sur le tard. Cela fait un certain temps qu’il est ici. C’est sa capacité d’adaptation qui a fait la différence, se dit-il, il a toujours su évoluer, s’adapter comme un don ancestral que ses ancêtres lui auraient transmis.

Il y a soudain une coupure, une résonance sous ses pieds, l’écho répété de deux types en train de se massacrer. La violence ici intervient par bourrasque, explosion, jamais constante mais régulière, par touches.
Un type à côté dit : « dès que j’ai mes papiers je me casse de Marseille », Ousmane sourit, il sait qu’il faut de l’argent pour partir. Il en a suffisamment maintenant, il ne baisse pas la garde et repart.

Héliopolis et Fleurus lui font face, sculptures guerrières, entourées de lauriers, retraçant la victoire des hommes, restes historiques sur fond de ville bruyante. Il est étonné qu’il n’y ait pas de camion de police accroché à la pierre, il souffle.
La circulation résonne dans les tasses de thé, dialecte local sur fond d’ombres bleues et d’arbres jaunes. À droite des groupes compacts, vivants par le dialogue, reflètent le mensonge de l’urbanisme. Dame République surveille en hauteur, accompagnée d’affiches « urgence climatique », chantage à tous les étages, fracas d’épées et de boucliers, portés par des statues édifiées, mises en silence par tous les cartons-matelas en bas.

Ousmane s’en fiche, il est déjà parti. Encore une fois, les pigeons et les hommes se confondent ; il se dirige vers eux pour distribuer ses miettes ; l’un lui lance : « Pas d’attaques de mouettes aujourd’hui ? », Ousmane répond : « Tu vois des gyrophares ? » Il enchaîne vite, distribue ses 5 g à l’un, à l’autre, à tous.
Il s’est enfui, c’est Sika qui le rattrape et lui dit à travers l’épaule : « Fayçal te cherche et c’est sérieux, fais attention ».

Les particules d’air se sont épaissies, il y a de la fumée ici et là, ça sent le chaud, ça voit rouge, Ousmane a pourtant froid, il voit bleu. Cette dernière phrase de Sika lui donne des frissons, il vérifie s’il a toujours son bonnet, son porte-bonheur, tant d’attaques de mouettes évitées grâce à lui.
Il titube comme un jongleur qui perd ses quilles. Il longe le parc, les grilles lèchent les arbres, il nage désormais au milieu des terrasses, il entend : « Dieu te voit, Dieu te voit », il se retourne, c’est une femme potelée, accompagnée d’une béquille et d’une grimace qui s’adresse à son fils. Imperméable, l’enfant affiche un sourire jusqu’aux immeubles. La femme a remarqué qu’Ousmane s’est arrêté, elle attend qu’il soit parti pour lancer un : « Regarde-le lui, c’est un toxico ». Ousmane l’entend, avale ce mensonge en pensant à son futur voyage.

Bonne Mère au loin, près de la rue de Racati, il voit des tentes, il se rappelle de l’A7 comme somnifère. Le son des cigales vient recouvrir ses pensées. Il est dans le parc, il passe devant son immeuble, remarque sa fenêtre ouverte, il s’étonne, il pensait l’avoir fermée.
Ici les pierres agencées forment un escalier, comme un Colisée, sauf que les gladiateurs ont déserté et que les ruines sont restées.

Sidy et Rosko, accompagnés de trois autres types, sont à côté. Parfait, ils ont rendez-vous. Il récupère quelques billets de cinquante, se délaisse de plusieurs cailloux ; il gagne au change, un espoir contre un cauchemar ; sacrifice de certains, hiérarchie éternelle, pas de remords, seulement un regard sur ce bateau au milieu du parc.
Sidy et Rosko rigolent, ils ont remarqué l’air absent d’Ousmane. Le premier lui dit : « C’est comment, tu veux naviguer ? » Il ne répond pas et les regarde avec hostilité ; des amis il n’en a plus depuis qu’il a accepté de dealer.