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Les dix vies d’Aurore Dupin, par Cathy Loiseau

Une jeune fille vient d’accoucher.
Bébé mort ? Bébé échangé ?
Elle ne sait pas, on le lui a caché.
Elle est sûre, le bébé a pleuré.
Elle entend les pleurs, encore et encore…
Où es-tu ? Où es-tu Aurore ?

Je suis là ! En l’an de grâce 1902,
En ce printemps, j’ouvre les yeux !
Pendant la guerre, une balle me transperce le cœur !
Non, non, n’ayez pas peur !
Nous avons tous droit à plusieurs vies !
Quelques unes des miennes ne seront pas jolies…

Cette année-là, maman, maman jolie,
Mon père s’est enfui…
J’hérite du noir de ses yeux
Qui transpercent la pluie…
Je fais de mon mieux
Pour apprendre la vie.
Plus tard, seule, un soir,
Je cherche à savoir.
Je le retrouve, il est beau,
Il peint des tableaux.
Je m’inscris à son cours,
Le cœur bien trop lourd.
Je me découvre la même passion,
J’absorbe les mots de ses leçons…
Je veux pourtant le tuer !
Je me rends dans son atelier,
Un samedi soir enténébré,
Mon flingue a un silencieux,
Je vise juste, pour lui, un jour malchanceux.
Mauvais moment, mauvais endroit :
« Ta fille Aurore, c’est moi ! »
Ahuri, il se tourne vers moi :
« Non, ne tire pas, d’abord écoute-moi ! »
Je n’entends pas, j’atteins son cœur,
Trop tard, je vois mon erreur,
Là, devant moi, dans le miroir,
Un homme, le même, mêmes yeux noirs,
Me lancent une piqûre qui m’endort,
À mon réveil, je sais, la prison, puis le couloir de la mort…
Un frère jumeau pour mon paternel
Oh ! Maman, maman si jolie,
Pourquoi ne m’avais-tu rien dit ?
Je vais, de ce pas, te rejoindre dans ce lieu éternel…

Un autre jour, j’ai juste le temps
De connaître Bécassine
Qu’arriva un nouveau printemps
Où je me noyai dans la piscine…

Maman, tu n’es pas là aujourd’hui !
Je fête mon anniversaire, tant pis !
Je tape, sur mon cahier, j’écris…
Des dizaines de marionnettes
S’invitent à ma fête…
Année 1990,
Dans ma colère tout y passe,
La gauche, la droite, même le diable !
Les rêves encombrent ma table,
Ma table déborde et ça m’agace !
Là tout est mélangé,
Le rêve et l’atroce réalité,
Des lignes de violences, de sang et d’horreurs
Accompagnent les étoiles d’amitié et de cœur.
L’asile, c’est là que je m’endors,
Là qu’on récupère mon corps.
Enterrée, seule, sans cercueil, sans tombeau,
Dehors, il fait si beau…
Mais je m’entends bien avec les autres locataires
Là, six pieds sous terres…

Les années passent maintenant
Et, à ce jour, j’ai quatre ans,
J’aime la chanson du petit cheval blanc.
Je m’imagine assise sur son dos,
Tel Pégase, toujours plus haut…
Jolie robe rose et souliers vernis,
Je ne manque de rien dans cette vie !
Enfin si ! De la présence, d’amour parental !
Non, non ! Ce n’est pas du tout normal !
Alors majeure, je meurs d’une overdose ?
Mes parents ressentent-ils quelque chose ?
Moi, Aurore, à la télé, j’ai écouté leurs discours,
Pas un seul mot d’amour…

Nouveau printemps, nouvelle vie.
Je suis avec vous, papa, maman chéris !
Que du bonheur, que du bonheur !
Dans leur moïse, dorment mes deux petites sœurs,
Papa est un grand écrivain,
Mais chut, ne lui dites rien,
Quand je serai grande, je me marierai avec lui…
Quand je dis ça à maman, elle rit…
Un trille joyeux que son rire cristallin !
Alors je ris, et mes deux petites sœurs tapent dans leurs mains,
Ensuite, je suis ses traces, je deviens écrivain,
Connu sous le pseudo d’Aurore Dupin.
J’ai eu un mari, six enfants,
Et quinze petits-enfants !…
Aujourd’hui mes fans se retrouvent à mon enterrement…

À ce jour, j’ai tout juste dix-sept an,
La revue « Jeunesse en avant »
Édite ma première et unique nouvelle !
Je souris, la vie est belle !
Dix ans plus tard, accident de train,
Papa, maman et moi mourons,
Au ciel, nous nous envolons...
Hélas ! Je laisse, sur terre, deux orphelins.

Année 2030, je barbouiller plus que je n’écris !
Maman, mes petits matins sont gris,
Plus de stylo, plus de cahier, plus de cahier,
Alors maman, je suis une guerrière,
Je suis une meurtrière…
J’ai effacé plus de la moitié de la terre !
La lettre P m’ennuie. Toi seul, maman, peut le savoir
Et même, peut-être, le concevoir…
P comme proxénète, pédophile, psychopathe, et politicien.
Fallait pas qu’ils soient sur mon chemin.
Et, pour continuer le boulot, j’ai décimé les pervers et les paranos.
Les autres monstres, faut juste qu’ils se tiennent à carreau
Car, moi, Aurore, planquée dans mon ordinateur,
Non, je n’ai plus peur,
Non, je n’ai plus de cœur !
Hélas ! La vieillesse me rattrape,
Superhéroïne, je n’ai plus de cape !
Mais je me suis mise à la mode,
Je meurs devant mon clavier ?
Alors cherchez le bon digicode,
Afin de pouvoir m’enterrer…

Année 2060,
Je dors, recroquevillée dans l’épouvante,
XY le nouveau robot, plus que supérieur,
Absorbe mes cellules humaine,
Arrache mes entrailles et mon cœur,
Mais j’avance encore vers les années prochaines !

Nous sommes à l’an 3000,
Des milliers de tentacules sur nos villes,
Papa, maman, depuis longtemps, vous êtes morts,
Mais, par vos pensées, faites des efforts !
Les marches des bois, elles craquent,
Dans cette fichue baraque !
Même si mon cerveau n’a plus de limites,
Même si je frôle la méningite,
Je suis seule, la pluie frappe les carreaux,
Seule avec mes ordinateurs, vieux ou nouveaux,
Dans cette baraque immense,
Ouf ! Sur les piano, j’entends vos doigts qui dansent,
Des rires, des voix, c’est drôle,
Il y a aussi mon chat qui miaule,
Je sais qu’il a faim,
Mais, pour moi, c’est une autre fin,
Je dors même pas dans mon lit,
Allongée là, sur le tapis,
Les éclairs illuminent, un instant,
Nos deux corps devenus blancs.
Lui, il miaule, et moi je dors…
Un jour, quelqu’un trouvera nos corps,
Enfin, bien sûr, ce qu’il en restera
Et de ses cendres, Aurore, alors renaîtra...