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Articles

Affichage des articles du décembre, 2025

Mmmmmh, par Ninon Goder

Il vole parce qu'il n'a pas de jambe. Il avance. Il avance seul. Il n'a pas de jambe. Ni jambe, ni bras. Il n'a pas de corps. C'est l'index. L'index gauche de pépé. Pépé l'avait perdu. Scric scric SRAC. Pépé l'a perdu il y a un gouffre, une vraie faille de temps. Et moi, je l'ai trouvé. Enfin, c'est lui qui m'a montré entre les failles. Il est là. Devant moi. Il est là et il vole. Il vole seul juste devant. Il vole droit, tout debout de lui. Il me regarde. Oui, il pointe. Il me pointe et m'enface. Il pourrait me curer le nez mais il ne fait rien. Du temps, du temps et l'index part.  Du temps. Du temps et il y a ça. Ça, ça vole aussi. Mais, pas seul. Cette fois, ça vole en groupe. C'est une poignée de cheveux. Des mèches toutes emmêlées. On dirait que les reflets bourdonnent pour suivre l'index. Je les connais. Je le reconnais ce bourdon échevelé, il est brun. Brun et raide. Ça bourdonne laid aussi. C'est le cancer qu...

Plouf, par Nolwenn Le Gal

Un amuseur de galerie et deux amusées sur un gros caillou. Le gros caillou est une falaise qui tombe dans l’eau. L’eau est l’océan salé, qui bouge sans s’arrêter et éclabousse les rebords. Les rebords de ceux qui sont là. L’amuseur de galerie et les deux amusées sont un garçon et deux filles, sûrement le garçon et la fille de deux parents, ou plutôt de six, sauf si l’un d’entre eux s’en est allé. L’amuseur amuse. Il s’amuse d’amuser. Les amusées sont amusées, on le voit à leur sourire qui plisse leurs yeux. Ce n’est pas le soleil qui plisse leurs yeux, le soleil n’est pas là. C’est amusant. Et ça les éclaire. ça s’éclaire. ça est le garçon qui fait des blagues, les deux filles qui rient. Et les autres aussi. On ne connaît pas les blagues. La falaise ne rit pas, on ne l’entend pas rire. Le vent hurle, lui. Il ébouriffe les cheveux de ceux qui sont là. Ceux sont le garçon, les deux filles, la falaise, l’océan. Le vent aussi, mais il ne s'ébouriffe pas lui-même. Le soleil n’est pas là...

L'hermite, par Marie Chapuis

Aujourd’hui, 21 novembre 2025, sous les tropiques. C’est en déambulant sur la plage que j’ai trouvé une grosse coquille vide. Bien trop grosse pour moi. Je m’installe à 30 cm d’elle et j’attends. Je sais que d’autres vont arriver. 22 novembre au matin, le temps est clair mais frais. Un petit gris s’installe juste derrière moi, c’est donc lui qui aura mon carrosse. C’est ainsi qu’on m’appelle, « Carrosse », car mon toit rose en a la forme et l’élégance. Pourtant, il me faudra bien le céder. On se regarde un peu, sans plus. 23 novembre, personne ne vient. Je suis à l’étroit, le soleil brille et j’ai trop chaud dans ma chambre rose. 24 novembre, à la tombée du jour, débarque celui qu’on appelle Strip-tease, débordant de sa carapace, ses chairs molles et blanches à moitié dehors. Il chaloupe un peu avant de se poser juste au milieu, à 15 cm entre la grosse coquille vide et moi. Le 25, rien ne se passe. 26, le temps est à la pluie quand débarque un magnifique spécimen dans une somptu...

Les ratatinées, par Michèle Atlan

Long plan-séquence sur deux silhouettes, l’une grande, l’une petite, une adulte, une enfant ; la mère et la fille. Elles traversent une grande place bordée d’arbres, quelques rares voitures y stationnent, des bancs au milieu s’espacent de quelques mètres les uns des autres. Des vélos qui zigzaguent entre les arbres, chevauchés par des gamins dont on perçoit les exclamations, les rires, la vie qu’ils insufflent au lieu. La petite fille suit sa mère, tantôt gambadant, tantôt poursuivant les vélos à grandes enjambées. Elle s’essouffle, se plie en deux un instant, presse une de ses mains sur ses côtes. La mère se retourne pour l’appeler, mais, interpellée par l’allure ralentie de sa fille et son corps légèrement voûté sur lui-même, elle fait demi-tour pour la rejoindre. — Betty, ça va ? Les joues rosies par la course ne parviennent pas à masquer les taches de rousseur qui constellent le visage de la fillette. La mère s’agenouille auprès d’elle. De longs cheveux châtains encadrent un ...

La Coiffeuse de la Belle au bois dormant, par Anny Galopin

Elle est là, assise sur le tronc d’un chêne centenaire, coupé et sacrifié lors d’une fête au château, le jour de la naissance de la fille tant attendue par le Roi et la Reine, il y a de cela bien longtemps... Que c’est long, et Dieu qu’elle s’ennuie ! Toute ridée par le temps, on la prendrait presque pour une sorcière. Comment a-t-elle pu résister jusque-là ? La Bonne Fée Marraine n’ayant pu arriver à temps pour la naissance de l’enfant, un malheur s’ensuivit, et celle-ci, comme nous le savons tous, se piqua avec le fuseau d’une Fée de l’Ombre, ce qui la plongea dans un sommeil sans fin. Tout fut essayé pour la réveiller, mais rien n’y fit, hélas... Elle avait juste dix-sept ans ! On décida donc de l’exposer dans un cercueil de bois fin et odorant, qui ne laissait la voir qu’à des regards de sujets particuliers et hautement triés sur le volet. C’était un privilège, comme il en existait dans toutes les cours d’une époque révolue. Ce cercueil fut placé alors dans un espace où les arb...

Plic ploc, par Isabelle Sers

Plic ploc, plic ploc... Goutte, gouttelette. Du plus bas… flaque où de petits pieds sautillent et s’éclaboussent en étincelles frémissantes… Douce rosée où aussi naissent de charmants têtards, éberlués par leur propre apparition. Du plus haut splashhhhh … Un plongeon vers d’inconnus fonds abyssaux, plus simplement nommés : « lavabo de marbre », là où la vie a vu le jour quand ce poupon, dès le surgissement de son premier cri, s’est retrouvé aspergé d’abord, puis enfin enfoui, le temps d’un baptême. L’eau… L’eau, qui habite nos corps : 60 %… tout de même…, et la terre : 70 %… oui oui… Vaisseaux, canaux, muscles, fleuves, cerveaux, océans, lames de fond, larmes de crocodile, crachats, baisers, potions… Que d’eau… Que de possibles traversées. Allons… voguons à travers les flots de nos intranquillités fluviales, et célébrons le goutte-à-goutte soporifique d’un robinet qui s’ignore, tout comme la fureur maritime d’une baleine qui s’insurge. Célébrons-la jusqu’à la lie, c...

Vert œil ?, par Vincent Figuéréo

Alda de Mesquita choisit de mourir le 4 février 1480. Alda de Mesquita choisit de donner vie à Fernand de Magellan, par voie basse, ce matin-là.  Alda de Mesquita choisit, en accord avec ses croyances et avec la volonté d’Undibel, de vivre éternellement en plantant une aiguille dans sa jugulaire. Undibel signifie « dieu » en calo, argot espagnol intégrant de l’argot gitan. Undibel a écrit dans son livre intitulé Le Livre d’Undibel qu’il promet la vie éternelle à qui laissera couler 21 grammes de son sang provenant de la veine jugulaire antérieure gauche. Ces 21 grammes doivent être déposés dans le récipient le plus proche de nous, d’une coupelle à un Tupperware. Ces 21 grammes doivent être mélangés à une goutte d’huile d’olive vierge et à un peu d’eau de mer, celle du large, pas trop salée. Le mélange doit être jeté en l’air, puis récupéré à la volée dans un geste acrobatique très délicat. Ce geste très délicat, vous vous en doutez, réduit les chances de l’opération à peau...

Histoire de femmes, par Corinne Gotnich

J'ai reçu un écrit provenant d'une jeune femme. J'hésite face à sa démarche, elle dresse le portrait d'un homme plus âgé qu'elle. Que lui reproche-t-elle à cet homme ? D'avoir la trentaine ? La quarantaine ? De lui avoir mal parlé ? Cela reste discutable. Les mots il les a employés dans un contexte précis. Il y a le dire et le dit, le signifié et le signifiant. Elle est au milieu de tout cela et elle patauge. Elle parle de cet homme sans en parler. Elle se perd, elle est aspirée par son langage à elle, elle bute sur les mots. Que lui reproche-t-elle ? De vouloir paraître trop respectable, de jouer la carte de l'humanité. Elle dit qu'il surjoue. Elle pense qu'il porte un masque. Cette jeune femme, elle en fait trop. On ne peut tout de même pas demander à cet homme de clarifier ses intentions, en deux mots ou en deux phrases ce serait impossible. Elle aurait pu quitter le bureau où elle était enfermée en face de lui ! Il ne l'avait ...