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Articles

La pente, par Martin Gracia

Ici, il n’y a pas d’errance, pas de révérence. En pente, il fait 40°tous les jours, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige. Regard droit, tourné vers l’horizon. Et hop, lever le pied. Pointe de pied tendu, haut hisse le mollet ! Tourner la cheville et PAF le talon ! Poser le pied, planter la pointe. Tu la doubles. Double là je te dis ! Tu dois passer devant, tu vas plus vite, tu n’as pas peur. Toi, tu ne t’arrêtes pas. Tenir la stature, planter les orteils dans les pâtures. Nord cap Nord ! Du tendon au mollet tendu, surtout ne pas tomber, jamais flancher… Regardez ! Là ! Il ne bouge pas. Sa jambe droite plus courte que sa jambe gauche. Déséquilibré ! J’attends tendu, pentu. Trouvant mon équilibre dans la pente obtuse. Remonter la pente, qu’ils disent, je dois remonter la pente. Me retenir pour ne pas tomber et cogner, voler… Rouler bouler … Le verdict est tombé, ils ont goudronner la pente. Déséquilibrés! J’entends encore le bruit de la déconstruction, un cliquetis de pierres net, se...

Porte d'Aix, par David Amblard

Fin de zone à trafic régulé, remarque-t-il sur l’un des panneaux de Porte d’Aix. Des immeubles cassés vomissent du rose. Il réajuste son bonnet, en été, en printemps, en hiver, il ne le quitte jamais. On le surnomme « L’homme rocher ». Des lunettes le scrutent, pas de menaces, juste des avertissements, dans une zone occupée. Ousmane connaît ses limites, son territoire, il a appris les règles sur le tard. Cela fait un certain temps qu’il est ici. C’est sa capacité d’adaptation qui a fait la différence, se dit-il, il a toujours su évoluer, s’adapter comme un don ancestral que ses ancêtres lui auraient transmis. Il y a soudain une coupure, une résonance sous ses pieds, l’écho répété de deux types en train de se massacrer. La violence ici intervient par bourrasque, explosion, jamais constante mais régulière, par touches. Un type à côté dit : « dès que j’ai mes papiers je me casse de Marseille », Ousmane sourit, il sait qu’il faut de l’argent pour partir. Il en a suffisamment maintenant, il...

Mon humain Pozzo, par Christine de la Souchère

Maître Pozzo, Je vous écris de ce lieu dérobé, où votre inconséquence m’a conduit. Inutile de vous rappeler la peine encourue à l’issue de votre procès. Le roi Narcisse IV ne plaisante pas avec les histoires de reflets. Vous, mon maître, devez payer l’amende et 1000 Florins et régler le problème des miroirs à double face, installés sans autorisation dans vos domaines, ceux-ci perturbant les déplacements des chars fleuris du Souverain. D’autre part, le Roi vous ayant surpris dans une situation délicate où votre manque d’empathie a provoqué un drame exemplaire, a rajouté 30 degrés à la sanction. C’est moi que vous avez désigné, de fait, comme le permet votre position sociale, pour subir la sentence à votre place. C’est ainsi que cela a toujours été, entre les classes de notre royaume. Lorsque le camion m’a emporté, j’ai vu la vallée une dernière fois, avec ses protubérances ondoyantes et ses alcôves légèrement blondies. Plus loin, à la frontière de notre monde, l’espace s’est fait plus p...

Je t'invite, par Estelle Bertin

Bienvenue. Bienvenue à toutes ! Bienvenue aux enfants ! Bienvenue aux mères, aux sœurs, aux filles, aux amies. Bienvenue à toustes, les hors des cases, les entre les deux Bienvenue aux frères, aux pères, aux fils, aux copains. Bienvenue à celles et à ceux qui sont venu.e.s ensemble Bienvenue aux autres qui sont venus seul.e.s, nous sommes ensemble Bienvenue à celles et à ceux qui ont dû partir, qui ont dû fuir, qui luttent perpétuellement. Bienvenue aux endeuillé.es, aux chagriné.e.s, aux larmes dans les yeux Bienvenue à ceux et celles qui restent et sont là ! Bienvenue aux sages, aux philosophes, qui acceptent. Bienvenue à celles qui ne veulent plus voir, parce qu'on a en trop vu. Fermez les yeux Bienvenue à ceux qui ne veulent plus entendre, parce qu'on en a trop entendu. Bouchez-vous les oreilles Asseyez-vous, reposez-vous. Mettons sur cette table, la liberté à portée de main Que celui ou celle qui la veut s'en saisisse, se serve et s’en resserve. Saupoudrons là sur les ...

Quitter les Oliviers par Ashley Ouvrier

Mme Herzi avait accueilli Géraldine exactement comme les six fois précédentes. Sur son canapé en velours marron, elle avait apporté sur la table basse en verre du salon un plateau sur lequel elle avait disposé une grande cafetière en métal, deux tasses serties d’un liseré d’or et des petits beignets saupoudrés de sésame et de sucre glace qu’elle avait préparés la veille. — On les appelle les doigts de la mariée chez nous, en Algérie, lui avait-elle encore une fois précisé, tandis que Géraldine rassemblait les dernières pièces nécessaires pour constituer le dossier de réclamation de Mme Herzi. Le mari de Madame Herzi, Mohamed Herzi, était un ancien soldat de l’armée française qui avait travaillé trente ans dans la même entreprise de maçonnerie basée à l’Estaque. Il était décédé six mois auparavant d’un cancer des poumons. Et depuis, sans que personne ne comprenne pourquoi, sa veuve, Mme Herzi, s’était retrouvée sans le sou, car elle ne percevait pas la pension de réversion à laquelle el...

Une coupe de cheveux, par Aroun Mariadas

Elle regarde ses deux amies assises sur les bancs en bois, le visage tourné vers le soleil tandis que les enfants dans les arbres crient en rigolant : « Appelez le 17 ! Appelez le 18 ! » Des blagues de gosses, ce n’est rien de plus que cela. Des silences d’adultes qui se reposent, ce n’est rien de plus que cela. Et pourtant, c’est tout à la fois. Derrière elles, ce matin-là, dans les arbres, des enfants accourent, escaladent. Iels grimpent ces êtres massifs et imposants, des arbres préhistoriques comme sortis d’un conte de fées. Elles, elles s’écoutent en riant. Elles rient d’agacement mais aussi de bon cœur du vacarme des mioches. Elles parlent de la lecture d’un manifeste féministe qu’elles sont en train de rater. Elles sont attentives au bruit des vagues. Chacune de leur voix s’échoue tranquillement sur les lattes des transats — doucement — chauffées par les rayons du soleil. Les mots. Les arbres. Les jeux en bois derrière elles. Tout est sculpté. Leur corps alanguis, au repos, qui ...