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Articles

Cave, par Thibaut Bracq

C’était comme une fatalité, je ne pouvais réprimer mon attrait pour cette cave, froide, densément sombre, cavité aux dimensions impossibles à mesurer, tant la lumière artificielle peinait à éclairer ses murs. A chaque fois, j’ouvrais la porte sur l’escalier en colimaçon et je descendais sans guide ni lampe torche vers un trou noir, astronomie inversée des pôles. Seules les flammes vives des cierges dérobés à l’église me permettaient d’affronter les marches grinçantes de l’escalier, invitant le voyageur timide que j’étais à sombrer. J’essayais de ne pas cramer mes habits du dimanche, à vouloir trop protéger les flammes de l’humidité. J’étais le seul enfant de ces repas en famille, et mes fringues ressemblaient à celles d’un empereur empaillé tout droit sorti d’un musée de Marionnettes. Je n’avais pas le droit de me salir, sinon c’était la débandade le soir à la maison, cris et retour de bâtons du roi père, sceptre et puissance de feu sur mes joues endolories. Pourquoi cette violence, ...

Agir, par Thibaut Bracq

Il pleut sur une matinée de janvier telle qu’on aimerait ne pas en vivre. Un air de Toussaint, de lendemain de fête des morts, quand même la promesse de la fête s’est éteinte, quand il ne reste plus que le deuil, le jour d’après l’enterrement, le jour d’après les fleurs et les condoléances, quand plus personne n’est là pour sauver la petite flamme vive en vous. Selim est un des rares à avoir bravé la bruine glacée qui tombe sur Dunkerque. Le ciel se confond avec la mer, une même teinte qui donne envie d’épouser sa couette. Il se réfugie dans le bar en bas de chez lui, posé sur la grève. Il se pose à la même place, stratégique, devant la baie vitrée, une vue plongeante sur l’horizon, aux premières loges pour observer les quelques clients du matin. Le serveur lui apporte un expresso avec un verre d’eau, il n’a même plus besoin de commander. Les habitudes sont tenaces. Ils se parlent peu, échangent de menues politesses. Dans la foulée, un jeune homme entre, l’allure détrempée, il dégag...

Il y a au loin un son qui se répète, par David Amblard

Il y a au loin un son qui se répète Une couleur qui revient Le sol est dure et blanc Quand t'es yeux s'ouvrent Ceux sont les rochers qui apparaissent et le cœur qui accélèrent Comment refaire le chemin inverse Revenir sur ses pas Cesse de répéter les maux Tu as déjà joué cette partie Lancé les dès sur la table des possibles Tu as arraché cette rose Pourquoi te plains tu de ne garder que les épines Souviens toi aussi de ses odeurs et de son parfum Rien n 'est comparable à l'horizon Tu peux regarder ce bleu et ce vert qui t'entoure Ta prison n 'est pas pire que celle de ceux qui t'entoure Tu l'as juste ignoré tout le temps Coupe cette main qui t'a enfermé Aiguise ta lame avec douceur  et frappe avec désespoir Ce son s'est transformé en vagues et ces rochers en amis

2 minutes, par Nathalie Leclère

2 minutes d’écriture sans réfléchir 2 minutes d’écriture dans l’absence de pensée Il a dit ça 2 minutes sans repos pour le stylo, mais le cerveau au repos J’ai entendu ça Remplir des lignes d’écriture, donner aux lignes la forme de mots Remplir la page de mots vides, vides de pensée mais toujours chargés de sens, le sens de l’absence de pensée Pour chaque mot un sens, parfois plusieurs Un mot peut-il surgir sans pensée, sans réflexion ? Par le simple pouvoir de la main Sans cerveau pour souffleur, sans cerveau pour maître, sans cerveau pour… dictateur 2 minutes d’écriture dans l’absence de contrôle 2 minutes d’écriture en roue libre Que raconte la main autonome ? La main affranchie du cerveau Je regarde la main qui écrit. Je vois les doigts bleus. La main dit le bleu. La main aujourd’hui dit le bleu, le travail de la teinture indigo mais pas toujours. Le stylo dans la main n’écrit pas seul. Le stylo dans la main n’écrit pas seul. Non, désolée. Le stylo dans...

Yeux, par Angèle Coste

Devant un bar. — On va à l’intérieur ? — Je préfère rester dehors. Au plateau, la lumière s’étend et se rallume. Les protagonistes sont installés à une table, on comprend que du temps s’est déroulé. — Tu n’enlèves pas tes lunettes de soleil ? — On est dehors non ? Même ellipse. — Tu ne joues pas le jeu. — Tu as vu mes yeux sur les photos. — Oui, mais c’est maintenant que je te rencontre, je veux pouvoir lire qui tu es, tes expressions. — On ne pourra pas faire marche arrière. — Tu remettras tes lunettes. — Tu m’auras vu. Même ellipse (ou pas, enchaînement possible). — Pardon, mais c’est quand même banal de montrer son visage en entier. Je ne comprends pas, t’as eu un accident ? Une grosse conjonctivite ? Ma sœur en a déjà eu, je suis habituée. Mon ex avait un léger strabisme, c’était adorable. Tu peux arrêter de te prendre pour le centre du monde maintenant. Je ne te demande pas de te mettre à poil non plus. D’ailleurs, tu comptes les garder si on fait l’amour ? Tu leur mets un petit c...

Qui était-il pour de vrai ?, par Anny Galopin

Qui était-il pour de vrai ? Son personnage flirte avec le mensonge et nous enveloppe dans un brouillard attirant. Son silence intérieur fait référence à un fantôme dont nous ne savons rien. Une disparition survenue dans son histoire, une disparition qui a créé un blocage de ses émotions. Quand il parle, il ne dit rien. Étonnement et incertitude. Elle, la femme imprenable et incorruptible de par ce qu’on savait d’elle, lit un article concernant l’homme auquel elle s’intéressait et s’attachait. C’était alors, pour elle, une aventure merveilleuse, un réveil de sa vie émotionnelle éteinte tristement. Un choc ! Qu’osait-on inventer ? Devait-elle s’arrêter à cette description de ce partenaire nouvellement apparu dans sa vie ? Une amie avait invité notre femme précédemment décrite. Elle la voit lire l’article du journal qui parle de l’homme, celui qui a su la faire s’intéresser à lui. Elle comprend vite que la révélation pourrait faire du dégât. D’un geste inconsidéré, elle lui arrache le jou...