C’était comme une fatalité, je ne pouvais réprimer mon attrait pour cette cave, froide, densément sombre, cavité aux dimensions impossibles à mesurer, tant la lumière artificielle peinait à éclairer ses murs. A chaque fois, j’ouvrais la porte sur l’escalier en colimaçon et je descendais sans guide ni lampe torche vers un trou noir, astronomie inversée des pôles. Seules les flammes vives des cierges dérobés à l’église me permettaient d’affronter les marches grinçantes de l’escalier, invitant le voyageur timide que j’étais à sombrer.
J’essayais de ne pas cramer mes habits du dimanche, à vouloir trop protéger les flammes de l’humidité. J’étais le seul enfant de ces repas en famille, et mes fringues ressemblaient à celles d’un empereur empaillé tout droit sorti d’un musée de Marionnettes. Je n’avais pas le droit de me salir, sinon c’était la débandade le soir à la maison, cris et retour de bâtons du roi père, sceptre et puissance de feu sur mes joues endolories. Pourquoi cette violence, moi qui n’espérais qu’un amour simple ?
Une fois en bas, je tombais nez-à-nez avec les congélos à viande, posés en bas de l’escalier. Des chambres froides qui cachaient des horreurs : des côtes de bœuf au sang coagulé, une tête de porc en attente de son quart d’heure de gloire, des pattes de biches que grand-père conservait bien au frais. Je vous passe les détails. C’était un passage obligé et je tremblais d’effroi. J’aimerais être moins curieux.
Dans la deuxième petite cellule, je tombais nez-à-nez avec un grand aigle aux ailes déployées, en position d’attaque. L’éclairage façon clair-obscur était terrifiant, j’hurlais à la mort, mais personne ne vint me secourir, trop occupés qu’ils étaient à boire. J’étais libre et ivre de liberté.
Avec le temps, j’appris à détourner le regard. Chaque fois j’allais un peu plus loin dans ce vaste labyrinthe, sans être au bout de mes surprises. Je ne savais pas bien pourquoi j’y revenais chaque dimanche. Peut-être par ennui profond. Ou pour le plaisir de disparaître et d’être désiré un court instant. Je percevais parfois des cris d’orfraie, des beuglements provenant du salon, juste au-dessus de moi. Et rien, dans ces moments-là, ne me donnaient envie de remonter le petit escalier en colimaçon. D’une semaine à l’autre, les cellules changeaient, un lit remplaçait un établi de travail, des couteaux inquiétants passaient d’une pièce à l’autre.
L’effroi état bien peu de choses face à l’indifférence. J’appris à aimer la surprise, le sursaut, l’imprévu. J’étais perdu au milieu des cadavres, bouteilles vides, carcasses de monstres inoffensifs. En quête de nouveauté, en quête d’attention, au fond de ce trou humide.
Je n’ai jamais su aimer. J’ai toujours fui l’impératif.
Je crois que je n’ai jamais quitté cette cave.