Hier encore, j’étais heureuse.
Ce matin, la neige tombe à gros flocons et nous sommes tous prisonniers dans cette salle de classe.
Je suis professeur des écoles, pour moi tout est tracé d’avance ; pour mes élèves, c’est plus difficile : ils sont assis là, perplexes, attendant une consigne de ma part.
Je propose le jeu des masques, mais ceux qui sont accrochés dans la salle sont des masques de carnaval. Toute ma vie, j’ai détesté les déguisements, les thèmes imposés.
Je leur fais part de ma proposition. Moi, les masques me font penser à la mort, aux hold-ups, aux grands brûlés, aux tragédies grecques.
Mes élèves, eux, jouent le jeu plus facilement. Ils envisagent même d’improviser une petite comédie.
Je leur laisse libre choix. Ils s’organisent et vont se concentrer. Ils sont dix protagonistes. Moi, j’ai pris mon smartphone et je cherche la définition du mot masque :
1. Objet dont on couvre le visage humain pour transformer son aspect naturel.
2. Dehors trompeur : un masque de froideur, d’indifférence.
J’imagine un procès d’assises ; mes élèves acceptent ce contrat. Cette proposition leur sied à merveille :
D’un côté, les juges ; de l’autre, les témoins.
Est-ce que le fait d’être masqués va changer quelque chose à la pièce ?
— Accusé, levez-vous !, m’entends-je dire.
La salle d’audience est toute masquée.
On se croirait à une réunion de secte, chacun ignorant qui est l’autre.
Les plaidoiries sont diverses : Beaucoup sont méchantes, une minorité est bienveillante.
Je pense que ce sont les masques qui ont laissé certains libres d’exprimer leur colère ; les autres ont décidé d’être indulgents.
Quant à l’accusé, il est figé, immobile. En fait, c’est le meilleur rôle : il ne parle pas.
De toute façon, on joue ; moi, je joue à être un juge, les autres l’auditoire.
Tout a été décidé à la hâte, tout est improvisé.
L’accusé a été condamné à cinq ans de prison avec sursis.
Cette sentence a contenté tout le monde.
Dehors, la neige a cessé de tomber.