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Articles

Yeux, par Angèle Coste

Devant un bar. — On va à l’intérieur ? — Je préfère rester dehors. Au plateau, la lumière s’étend et se rallume. Les protagonistes sont installés à une table, on comprend que du temps s’est déroulé. — Tu n’enlèves pas tes lunettes de soleil ? — On est dehors non ? Même ellipse. — Tu ne joues pas le jeu. — Tu as vu mes yeux sur les photos. — Oui, mais c’est maintenant que je te rencontre, je veux pouvoir lire qui tu es, tes expressions. — On ne pourra pas faire marche arrière. — Tu remettras tes lunettes. — Tu m’auras vu. Même ellipse (ou pas, enchaînement possible). — Pardon, mais c’est quand même banal de montrer son visage en entier. Je ne comprends pas, t’as eu un accident ? Une grosse conjonctivite ? Ma sœur en a déjà eu, je suis habituée. Mon ex avait un léger strabisme, c’était adorable. Tu peux arrêter de te prendre pour le centre du monde maintenant. Je ne te demande pas de te mettre à poil non plus. D’ailleurs, tu comptes les garder si on fait l’amour ? Tu leur mets un petit c...

Qui était-il pour de vrai ?, par Anny Galopin

Qui était-il pour de vrai ? Son personnage flirte avec le mensonge et nous enveloppe dans un brouillard attirant. Son silence intérieur fait référence à un fantôme dont nous ne savons rien. Une disparition survenue dans son histoire, une disparition qui a créé un blocage de ses émotions. Quand il parle, il ne dit rien. Étonnement et incertitude. Elle, la femme imprenable et incorruptible de par ce qu’on savait d’elle, lit un article concernant l’homme auquel elle s’intéressait et s’attachait. C’était alors, pour elle, une aventure merveilleuse, un réveil de sa vie émotionnelle éteinte tristement. Un choc ! Qu’osait-on inventer ? Devait-elle s’arrêter à cette description de ce partenaire nouvellement apparu dans sa vie ? Une amie avait invité notre femme précédemment décrite. Elle la voit lire l’article du journal qui parle de l’homme, celui qui a su la faire s’intéresser à lui. Elle comprend vite que la révélation pourrait faire du dégât. D’un geste inconsidéré, elle lui arrache le jou...

Marchand d’illusion, par Lorraine Thomas

Il vendait ce que je rêvais de posséder : une vue claire sur mon passé. C’est ainsi qu’on me l’avait présenté. Qui était-il ? Que vendait-il qui puisse appartenir à mon passé ou du moins m’en rapprocher ? Je marchais d’un pas assuré et régulier sans regarder autour de moi, car ce n’était pas dans ce paysage que je cherchais une réponse. Certaines images appartenant à mon passé et d’autres encore inconnues se mêlaient dans ma tête sans former de cohérence. La dichotomie ressentie entre mon corps et mon esprit était à la fois plaisante et honteuse. On me le reprochait assez à l’école : « Tu es complètement ailleurs », « Mais tu rêves ? » C’est ainsi que je me dirigeais vers le marché du passé, qu’on m’avait indiqué être non loin d’un cimetière. À dire vrai, je ne me rappelle plus qui me l’avait indiqué ni dans quelles circonstances, mais à choisir entre le doute et la certitude, je choisis la force d’y croire. Je mourais d’envie de trouver, au marché du passé, ce qui me manquait. Il fall...

Neuneuil, par Sophie Bellamy

Sur le chemin qui séparait Raymond Verneuil de son domicile au travail, on pouvait compter trois cent quatre-vingt-quatre marches d’escalier si on passait par la rue Théodore, puis rue Colbert, en coupant l’avenue Monnet pour rejoindre enfin la place Zola. Ce parcours offrait de petites volées de marches successives qui permettaient à Raymond de passer à l’envie du printemps de Vivaldi au dernier tube pop couiné par le poste de sa cuisine, déjà engrangé dans sa vive mémoire musicale pendant qu’il mâchait consciencieusement ses deux énormes tartines : orange d’abricot, noires de myrtilles, rouges de fraises ou framboises, ou encore jaunes de miel, selon la saison. Portions de blé et de sucre accompagnées d’un immense bol de café qui constituaient, depuis des années, son sempiternel petit déjeuner. Malgré sa mise un peu fade et son côté parfois collet monté, Raymond aimait que les choses soient vives et colorées. Son intérieur débordait de tâches et de traces criardes jetées sur les murs...

A l'orée de l'âme, par Christelle Gallego

J’aime les cailloux et le pain, J’en laisse toujours sur mon chemin. Un jour qu’on n’en avait pas, Ni mon grand frère, ni moi, Il avait mis ses bottes et nous a dit : - C’est tout droit, par ici ! - Ah bon, nous sortons ? - Oui oui, vous avez bien compris ! Nous, on ne voulait pas, mais il a toujours dit : quand on veut, on peut. On est d’abord resté devant la porte, Puis il s’est fâché, et nous a laissés à l’orée de la forêt. Après un temps certain, mon frère a lâché ma main. J’ai couru sur le chemin, lui, était toujours là, assis sur un rocher perché en haut du cerisier. Y en a qui sont terrassés, six pieds sous ciment. Nous avons eu la vie sauve. Je sais où est sa chaumière et de quel bois il se chauffe. La cheminée y fume et le loup dort devant. À sa mort, on dira de lui : Il coupait bien du bois ; fabuleux jardinier, il trouvait toujours les cèpes le premier, Il bâtissait mieux que le plus fort des trois petits cochons. Peut-être même que Blanche-Neige dira : merc...

Le choeur, par Sabine Fazekas

Eh vous là-bas ! Là Là Là bas Vous vous vous avez vu Vous vous vous avez su Vous vous vous avez t oujours toujours toujours su Vous vous vous n'avez rien dit Vous vous vous n'avez jamais jamais jamais rien dit Vous avez tout suivi, de côté tout vu, de face tout su, sans rien dire. ! TABOU ! Mère indigne, avec grand-mère soumise Bouche cousue Frère et sœur complices Aux Rires aigüs Main mise sur la vérité par le grand-père qui protège son fils Tout-puissant de son essence similaire Celui qui a tout commencé et continue Eh vous ici-bas ! Ici Ici Ici bas Vous vous vous avez orchestré Vous vous vous avez harcelé Vous vous vous avez encore et encore répété Vous vous vous avez encore et encore violé Vous avez orchestré ce que, fils, vous avez vu de f...