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A l'orée de l'âme, par Christelle Gallego

J’aime les cailloux et le pain,
J’en laisse toujours sur mon chemin.
Un jour qu’on n’en avait pas,
Ni mon grand frère, ni moi,
Il avait mis ses bottes et nous a dit :

- C’est tout droit, par ici !

- Ah bon, nous sortons ?

- Oui oui, vous avez bien compris !

Nous, on ne voulait pas, mais il a toujours dit : quand on veut, on peut.
On est d’abord resté devant la porte,
Puis il s’est fâché, et nous a laissés à l’orée de la forêt.

Après un temps certain, mon frère a lâché ma main.
J’ai couru sur le chemin, lui, était toujours là, assis sur un rocher perché en haut du cerisier.

Y en a qui sont terrassés, six pieds sous ciment.
Nous avons eu la vie sauve.

Je sais où est sa chaumière et de quel bois il se chauffe.
La cheminée y fume et le loup dort devant.
À sa mort, on dira de lui :
Il coupait bien du bois ; fabuleux jardinier, il trouvait toujours les cèpes le premier,
Il bâtissait mieux que le plus fort des trois petits cochons.
Peut-être même que Blanche-Neige dira : merci mille fois.
Les nains se saouleront dans leurs larmes.
La forêt entière pourra chanter : Hakuna Matata.

Et quand bien même on lui taillerait une auréole de lierre à la hache bien aiguisée,
Moi, moi je saurais.

De l’attendre, on s’est lassé...
Un jour, j’ai trouvé ma clairière.
La nettoyer vaut une vie.
Débarrassée de tout bois, j’ai passé des annonces :
Cherche cailloux.
J’en ai vu tant et tant, assemblés en petite pile, appelés cairns.
Aides à la navigation pour baliser les sentiers,
La bonne direction à suivre,
Pour ne pas s’égarer.

- Regardez, ils sont érigés le long du bon chemin.

J’entends mes enfants s’émerveiller :

- On dirait presque un rond !

- Mais non, c’est un cœur !

Je les entends me dire merci, merci d’avoir construit sur ce que tu avais perdu.

 

Le chœur avance droit devant, petit pas par petit pas, comme avant de jouer pour savoir qui choisira son équipe le premier.

 

Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus forts,
Ce qui ne vous tue pas, vous rend plus forts,
Ce qui ne me tue pas, me rend plus fort.

À terre ?
Donne-moi ta main, camarade, toi qui viens d’un pays où les hommes sont beaux.
Relève-toi ! Entends-tu ?
Donne-moi ta main, camarade,
J’ai cinq doigts à moi aussi,
On peut se croire égaux.

Le père a tué l’Œdipe,
La fille a aimé le monde.

À bras-le-corps, la vie plus forte que la haine.
À deux pas l’un de l’autre,
Elle avance, ne l’atteint pas.

Évacuer l’humidité vers l’extérieur.
À la surface de la peau, la première couche, fine membrane,
Une série d’écailles du bulbe commence à pousser à mesure que la plante mûrit.

La petite fille en nous, en elle, celle qui ramasse les feuilles des marronniers à l’orée du bois,
Les marrons dans la poche pour les jeter à la gueule, au cas où, mais qui reste dans la poche...
Elle souffle le chaud au bout des doigts,
La vie au fond du cœur,
La vie au cœur de l’âme.

Voir la vie en face, ouvrir grand les yeux, porter le deuil blanc, aimer à tout-va,
Consoler la petite dernière matriochka, qui, pour toujours, en elle, fredonnera :

Si jamais je rencontrerai,
Ce bel oiseau qui s’est envolé,
S’il revient de son voyage,
Tout près de toi le long du rivage,
Moi vois-tu, je lui raconterai, combien pour toi, je sais qu’il a compté.
C’est l’oiseau que tu aimais,
L’oiseau jaloux, je l’ai deviné,
S’il revient de son voyage,
Je lui dirai, que tu l’attendais.